Alexandre est maïeuticien, sage-femme si vous préférez. Lorsqu’on évoque la profession de sage-femme, ‘femme’ désigne la femme enceinte, pas celui ou celle qui pratique le métier. Un métier ouvert aux hommes depuis 1982, l’année de naissance de Alexandre. Un premier signe. Il est un des rares échographes français à pouvoir donner un haptique 3D du fœtus pour les parents déficients visuels. « L’échographie n’est pas un gadget visuel mais bien un acte médical de dépistage ».

Originaire des Yvelines, rien du milieu familial ne laissait présager un avenir médical pour Alexandre. « La carrière de mon père a amené la famille à déménager à Poitiers lorsque j’avais à peine 13 ans. Quelques mois plus tard, ma maman était enceinte de ma petite sœur. J’étais émerveillé de voir son physique évoluer, de deviner ma petite sœur qui bougeait dans son ventre. Cela m’a donné envie de travailler près des femmes enceintes, plutôt du côté sage-femme que gynécologue ». Il se renseigne auprès d’une praticienne. « Ce n’est pas un métier pour les hommes » lui dit-elle. « J’ai fait les études de médecine pour être gynéco ou pédiatre, mais ça ne me plaisait pas ». Il ne réussit pas sa première année de médecine, mais la Faculté de Poitiers met juste en place la formation de sage-femme. « Encore un petit signe. J’ai pourtant failli ne pas rentrer. La directrice m’a dit : vous êtes un homme et vous êtes bègue. C’était violent parce que c’était la première fois que j’étais confronté à cet obstacle alors que mon bégaiement ne m’avait jamais gêné. Je lui ai dit : laissez-moi faire que je vous prouve que je suis capable. Elle a accepté ». Sur les quatre garçons de la promo, Alexandre sera finalement le seul à obtenir l’examen du premier coup.

Il se réjouit de voir ce métier s’ouvrir aux hommes. « Là comme ailleurs, la mixité est plutôt une bonne chose ». Curieusement, il constate en échangeant avec ses copines élèves sages-femmes qu’on lui réserve des choses à faire car il est un homme. « La médecine était encore très masculine, patriarcale. Cela me dérangeait que les filles n’eussent pas le droit de faire plus de choses ». Quatre années d’école, après l’année commune aux études de Santé, sont nécessaires pour pratiquer. « J’ai fait un stage aux Sables d’Olonne et on m’a proposé un poste à l’issue de mes études. J’étais le premier homme sage-femme de l’hôpital, après avoir été le premier élève sage-femme. Ça faisait un peu bizarre, mais c’était très sympa ». Là encore, les gynécos tendent à lui confier plus de choses parce qu’il est un homme, ce qui ne lui plaît pas davantage que lorsqu’il était étudiant.

Les patientes sont parfois surprises. « Quand elles arrivent en urgence pour accoucher elles demandent la sage-femme, et on leur répond : on va le chercher…ça peut surprendre. Quand je suis au travail, peu importe que je sois homme, je suis juste au service de la maman qui accouche. J’ai été confronté seulement une fois à un refus, durant mes études, pour des considérations liées à la religion ».

Alexandre compte parmi les six français capables de pouvoir imprimer une image 3D du futur bébé pour des parents malvoyants. « J’avais expérimenté il y a 5 ou 6 ans, mais ce n’était pas satisfaisant. J’ai reçu un nouveau couple il y a un an et demi dont la maman était aveugle. J’ai relancé mes recherches et j’ai réussi à faire une impression 3 D de bonne qualité cette fois-ci. Moi-même en fermant les yeux, je retrouvais les traits du bébé. Je l’ai remis au papa qui tout de suite l’a mis dans les mains de sa femme. C’était une très belle émotion ». Depuis Alexandre a rejoint l’écographiste Jean-Marc Levaillant, pionnier et chercheur dans cette spécialité. « Nous supportons le coût de ce travail puisque nous ne voulons pas que les patientes malvoyantes paient plus cher que les autres. Nous aimerions qu’il soit pris en charge par la Sécu ».

Aujourd’hui Alexandre ne fait que de l’échographie. « Pendant un temps j’assurais encore quelques gardes, mais en pratiquant moins régulièrement, les réflexes ne sont plus les mêmes ». Ses bons souvenirs sont les plus nombreux. « Chaque couple est différent ». Il y a aussi les moments plus difficiles. « J’ai eu à gérer la douleur de parents face à des situations difficiles. C’est ça le plus dur ». Des émotions qu’il retrouve lors des échographies. « Ce sont le plus souvent des moments de joie, mais il faut rappeler que c’est d’abord un acte médical, un acte de dépistage. Quand on me demande d’emblée si c’est un garçon ou une fille, je réponds qu’on va d’abord s’assurer que le bébé aille bien. Dévoiler le sexe en mettant l’échographie dans une enveloppe bleue ou rose, je le fais volontiers. La plupart des parents se préoccupent d’abord de la santé de leur futur enfant. La part des parents insouciants, prêts à filmer l’examen, est infime. Mais elle progresse ».

Alexandre est un peu circonspect quand il dit vouloir laisser un monde plus juste à ses petits-enfants. « C’est plus sur le plan écologique ou humanitaire que je m’interroge. La finance qui permet d’exploiter des terres alors que ses occupants sont dans le besoin, ou la recherche de profits coûte que coûte, qui s’exonère d’un minimum de règles environnementales c’est déplorable ». Avant de se remettre lui-même en cause. « Est-ce que je suis légitime pour dire ça ? Est-ce que je fais ce qu’il faut pour que ça aille bien ? Probablement pas assez ». Beaucoup de choses le questionnent. « Pourquoi ne sanctionne-t-on pas les pays pollueurs qui ne vont pas à la COP ? Que penser des énergies prétendues vertes et qui ne le sont pas en réalité ? ». Il reconnait que cette prise de conscience est plus sensible chez lui depuis quelques années seulement.

Adepte du crossfit, Alexandre pratique également le volley. Cet amateur de JJG aime surtout se ressourcer auprès de ses amis, de sa famille. Il parle avec aisance de son bégaiement. « Je ne l’ai jamais vécu comme un poids car j’ai toujours été très bien entouré. La seule fois où je l’ai vraiment pris en pleine tête, c’était à l’école. Ça fait partie de moi ».

Il revient sur sa famille. « Ma femme a mis au monde nos deux enfants et c’est moi qui les ai accueillis. J’ai accouché ma femme. Je le désirais secrètement, mais quand elle me l’a demandé, j’étais hyper heureux. Aujourd’hui, ils ont 13 et 7 ans. Ça ne leur pose aucun problème de dire que maman et papa sont sages-femmes ».