Ne vous fiez pas à son nom. Jean-Marc n’est pas originaire de la péninsule ibérique ; il est Chti. Avec l’accent et la convivialité qui caractérisent les gens du Nord. Il réside avec son épouse à Mareuil depuis 7 ans, après avoir connu 11 déménagements. Lui qui a approché le monde de l’opulence a toujours gardé la tête froide. Il a tracé son bonhomme de chemin, ne redoutant pas de dire ‘non’ quand il le fallait.

Dès l’âge de 13 ans, Jean-Marc enfourchait le vélo pour livrer la viande dans les corons. « Mes grands-pères travaillaient à la mine. Le week-end et lors des vacances, je travaillais pour le boucher, un copain de mon père ». Son père veut faire de lui un électricien. « Moi j’aurais préféré être commerçant sur les foires. J’avais même trouvé un travail pour vendre des batteries de cuisine. Mais il n’y avait rien à faire ; il ne voulait pas en entendre parler. A cette époque, on respectait la volonté paternelle ».

CAP d’électrotechnique et d’électromécanique en poche, il débute dans une société à Valenciennes. « Je travaillais sur des pylônes en plein hiver ; je suis resté deux ans ». Il suit une formation pour être dépanneur en électroménager. « C’était le plein boom des grandes surfaces. Mais comme chez moi tout à une fin, j’ai commencé à en avoir ras le bol au bout de 8 ans ». On lui propose la responsabilité du rayon outillages. « Ça m’a poussé quatre ans plus loin ». La bosse du commerce n’est jamais loin. « Je suis devenu VRP chez Total pour vendre des lubrifiants aux garagistes ». Il développe son chiffre de façon spectaculaire, au point de scinder son secteur pour qu’un collègue vienne l’épauler. « Mon employeur me propose la direction commerciale du Sud de la France. J’ai testé 15 jours pour me rendre compte que la ferveur au travail n’avait rien à voir avec le Nord. J’ai refusé ». Son rêve de prendre un commerce se précise. « J’en avais marre de mes 60 000 kms par an, découcher, les salons… »

C’est à Somain, sa ville natale, que Jean-Marc trouve son commerce. « Un bar PMU Française des Jeux. Des grosses journées qui débutent à 6h30 et se termine un peu avant une heure du matin, et nous avons eu jusqu’à six salariés ».  Une belle aventure professionnelle de 5 ans, jusqu’à ce que son médecin le mette en garde contre la maladie du piétinement. « J’avais des fourmis dans les jambes ». Au sens propre cette fois-ci.

Un souvenir joyeux marque cet épisode. « Ma femme a gagné le Quinté dans l’ordre, et comme elle affichait ses pronostics, elle a fait gagner 9 clients. Une première en France qui a justifié la venue du patron de PMU. Je l’ai taquiné en lui disant qu’on avait joué après l’arrivée. Pendant 8 jours, ça a été la folie dans le bar. Ça ne nous a pas tourné la tête. Avec ce petit pactole, on s’est fait plaisir en achetant une Mercédès. Les parieurs venaient de 20 kilomètres à la ronde ».

Une fois le commerce vendu, quelques mois de répit sont les bienvenus entre repos et pêche en vallée de la Somme, près de la propriété d’Yves Le Coq. « Je n’avais que 50 ans, je ne pouvais rester à rien faire. J’ai été pris sur un poste d’agent immobilier à Valenciennes, mais l’entretien ne m’a pas plu. J’ai renoncé. On a alors décidé de se lancer dans le gardiennage de propriété avec Thérèse ». S’ensuit une série d’expériences croustillantes. « On répond à une annonce de la Voix du Nord. Nous voilà convoqués à la Banque Rothschild à Neuilly avec 15 autres couples. On a été pris pour garder la propriété D’Edmond de Rothschild, assurer l’entretien, faire la cuisine…Des propriétaires trop exigeants, un logement pas terrible. J’ai dit : on se casse ! ».

« On a alors envoyé cinq courriers sur des annonces du Chasseur Français, cinq réponses favorables. Le premier, c’était le patron des Folies Bergères, une magnifique propriété au fond d’une vallée, mais lors de la visite on a compris qu’on ne voyait quasi pas le soleil. Pas pour nous ». Une autre à Millau dans un terrain de camping. « Il y avait plein d’humidité dans le logement ». Le troisième rendez-vous se tient à la propriété du patron des magasins Rétif. « Une magnifique longère dans une vieille ferme. On visitera deux autres propriétés pour finalement revenir ici ». Mais Jean-Marc ne s’en laisse pas conter. « Un jour je l’ai attrapé au colbac. Il m’avait mal parlé. Je n’aime pas qu’on m’insulte ». Fin de contrat.

Il retrouve rapidement un employeur à Aix en Provence où il restera 7 ans et demi chez l’un des trois dirigeants des laboratoires Pfizer : Mohan Sidi Saïd. « Cet orphelin algérien a connu un destin hors normes. Son instituteur avait repéré chez lui une intelligence exceptionnelle. Lui qui avait connu le taudis savait d’où il venait. Il me disait : Si c’est bien pour toi, ce sera bien pour moi ». Sa propriété avait appartenu à la sœur de Paul Cézanne. « Il avait peint le pigeonnier de Bellevue et la montagne Sainte Victoire chez elle. On voyait sa propriété sur l’ancien billet de 100 Fr. à l’effigie de Cézanne ».

L’heure de la retraite approche pour Jean-Marc. Il compte un nombre de trimestres suffisants mais n’a pas encore 60 ans. « J’ai bénéficié d’une rupture conventionnelle sur les conseils d’un cadre de Pôle Emploi ». Quitter la belle propriété de Aix ne se fait sans pincement. « Un neveu et une nièce ont pris la suite. C’était bien pour tout le monde ».

Le repli se fait en Vendée, un lieu qu’ils ont connu à l’occasion de vacances chez une tante aux Mottes à Saint Jean de Beugné, dans un mobilhome. « On a trouvé par la suite une location au logis de Chaligny à Sainte Pexine. Lors de la fête du Patrimoine je m’occupais des bars, renouant avec mon métier. Mais l’organisation a changé ; je ne m’y suis plus retrouvé ». C’est alors qu’un copain lui propose une maison sur les bords du Lay, à Mareuil, un paradis pour ce pêcheur.

Lui qui a côtoyé le monde de l’opulence n’a pas perdu sa boussole. « L’argent ne rend pas heureux. Je pense même que le capitalisme tue l’homme ». Le milieu politique l’agace. « Le jour des élections, je serai à la pêche ». Il aime les destins des hommes qui partent de rien, comme Sidi Saïd ou Jacques Calvet, l’ancien n°1 de Peugeot. « Il a commencé par balayer les ateliers, puis franchi tous les échelons. J’ai eu l’honneur de déjeuner avec lui ; on a discuté deux heures ».

Jean-Marc est un homme droit. « Quand je dis quelque chose, je le fais. J’aime les choses simples : le bricolage, la pêche, les copains ». Il visite sa tante centenaire toutes les semaines, originaire comme lui du Nord. « Je suis un pur Chti, mais je ne retournerai pas vivre là-haut. C’est trop triste et c’est gris. Quand j’y retourne, je vois vraiment le déclin par rapport à ce que j’ai connu ».