Philippe est un rebelle souriant. Les paroles de ses chansons sont-elles aussi tranchantes que les cognées de ce bûcheron ? Originaire de la petite Beauce où il était appelé à reprendre la ferme familiale, il fuit vers le Périgord où il restera 25 ans. De La Roche Chalais dans la Double (redoutée il y a longtemps pour ses sorciers) il viendra à Saint Paul-en-Pareds (le pays des farfadets !) en 2004 ; pour se rapprocher de l’âme sœur en réalité.

Fort d’un Bac ‘sciences agronomiques et techniques’ et d’un BTS ‘Technique et gestion des entreprises agricoles’, la ferme de son père lui tendait les bras. « C’était une ferme très rentable, mais dont la chimie ne me correspondait pas. C’était plus une intuition qu’une véritable analyse. J’admirais mon père sur beaucoup d’aspects tout en le craignant, gardant pour moi mes interrogations techniques sur l’agriculture. Il a eu du mal à digérer ma décision ». Son frère, parti au Québec, viendra à la rescousse.

Il se lie d’amitié avec des jeunes périgourdins qui partagent ses interrogations. « C’était le début des énergies renouvelables. J’ai été un des premiers à déchiqueter le bois ; pour en faire du compost, la fermentation montait jusqu’à 80°, permettant de faire chauffer l’eau qui circulait dans des tuyaux polyéthylène. Un de nos premiers chantiers  alimentait des serres ». La technique développée par Jean Pain était encore balbutiante. « Au bout de 3 ans de travail acharné, nos efforts ont été récompensés… par une publication de notre constat de non-viabilité». Le véritable élément déclencheur de son militantisme sera le projet d’une exploitation de mine d’uranium. « En 1974 René Dumont se présente à l’élection présidentielle. Il m’a mis la puce à l’oreille, au désarroi de mon père ». Tous deux iront pourtant ensemble sur le plateau du Larzac. « Lui défendait les paysans du Larzac, moi ma motivation était du côté des antimilitaristes ». C’est donc à contre-cœur qu’il entame son service militaire. « Les gradés nous ont fait comprendre qu’ils étaient là pour faire voler les avions, pas pour faire marcher les troufions. J’ai bien exploité cette faille ; le 7ème jour, j’ai pris la poudre d’escampette, profitant d’un arrêt du train près de chez moi, pour aller voir brièvement ma femme. Deux jours plus tard, j’étais réformé ! » .

On devine que les chansons de Maxime Le Forestier retentissaient dans les esgourdes de Philippe qui faisait ses débuts à la guitare. « Sur le Larzac, j’avais entendu des chanteurs occitans qui me touchaient, même sans comprendre leurs textes. Plus tard le Périgord m’a fait Occitan, et on m’a dit ici que le patois vendéen pouvait aussi y trouver des origines. Ça me suit ! ». Son intérêt pour la musique provient d’abord de sa maman. « Elle qui avait rêvé de danser à l’Opéra chantait beaucoup. Elle a donné elle-même des cours de piano à chacun de ses six enfants vers leurs dix ans. Cela ne m’avait pas ‘branché’ du tout. Mais mon engouement soudain à 18 ans pour la guitare l’a ravie, ainsi que le fait que je sorte à l’instinct, quelques airs sur un violon ».

Pour Philippe, la chanson c’est aussi le plaisir d’écrire. « J’en ai écrit 70 dont une qui a été en finale du concours la Truffe d’Argent à Périgueux ». Il a le sens du détail. « Je peux passer une heure pour changer trois mots ». Il se reconnaît dans Bobby Lapointe qu’il a découvert plus tard. « Jouer avec les mots est un plaisir ». Il se produit peu en public. « A part les 30.000 personnes sur le Larzac, j’ai fait dans l’intime : concentration de motards chez un copain,  cérémonies religieuses et profanes, animations pour les aînés et associations de mon secteur en Dordogne, pour des journées de bienfaisance, pour la tournée vendéenne du film « du moulin au pain » de Luc Brusseau, pour mes amis faucheurs d’OGM… ». Il compte deux CD à son actif. « Je me souviens d’un commerçant qui en a diffusé un dans son magasin. Aussitôt, une cliente a accouru. Pour une fois, j’étais fier ».

L’heure d’été est l’une de ses révoltes. « Quand elle a été instaurée j’étais en colère. Je ressens ça comme une nuisance, un dérèglement de l’horloge biologique. J’avais écrit un slogan à l’époque : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on cherche…. midi à 14 heures ». Avec 30 ans de retard, mes nouveaux liens familiaux en Vendée m’offriront l’opportunité de remettre ce slogan au président de l’association nationale contre le changement d’heure : Louis Cousseau, de Mesnard-la-Barotière ».

La crise du Covid est à ses yeux un avertissement. « C’est un appel de la nature au ralentissement. Lors du premier confinement, j’ai retrouvé le ciel de mon enfance, sans avions ». Il se désole de la consommation qui surfe à nouveau sur les records.

Philippe a passé la majorité de sa vie en Dordogne. Marié une première fois, il a deux enfants. Sa seconde compagne est décédée après 17 ans de vie commune. « Elle avait une spiritualité puisée dans le meilleur de chaque religion ». Lui admire l’horloge magnifique qui nous entoure. « J’ai du mal à croire qu’il n’y a pas une volonté derrière, qu’on la nomme divine ou cosmique. J’ai besoin de ce repère ; ça me fait du bien ». Aujourd’hui, il partage sa vie avec sa compagne Agnès au cœur du bocage. « C’est aussi joli que la région où j’habitais dans le Périgord ». Il emprunte son idéal à Mama Rosa, italienne : « Seigneur, donne-moi l’intelligence pour aimer, et l’Amour pour comprendre ».