Des 370 hommes ayant connu le maquis de Dompierre, ils ne sont plus que quelques survivants, moins qu’une main ne compte de doigts. Léandre Martineau est l’un d’eux. Sa mémoire est vive avec le sens du détail, son récit parfois truffé de quelques anecdotes. Le métier qu’il a appris, un peu malgré lui, c’est la charcuterie qu’il exercera principalement à la Roche-sur-Yon, jusqu’à la retraite. Les déboires de ses débuts laisseront place à une belle carrière.
Né au Poiré, Léandre s’installe avec sa famille à Dompierre alors qu’il a 4 ans. Certificat d’études en poche, il fait son apprentissage en charcuterie chez son oncle. « J’y travaillais depuis un peu plus d’un mois quand la guerre s’est déclarée en septembre ». Il vivra les débuts là où il est placé, près d’un passage à niveau à la Roche. Les scènes de désolation se succèdent. « Les réfugiés… je leur portais de l’eau ou du lait. J’ai parfois réussi à faire cuire des œufs pour eux. La débâcle et ces visages terrifiés, c’était épouvantable. Le train s’arrêtait au niveau du passage, avant d’entrer en gare. Ceux qui faisaient du marché noir descendaient là, pour remonter le soir avec des valises remplies de victuailles : du cochon, des fayots, des patates… ». Le climat était pesant. « Dès qu’on entendait le bruit des bottes, on se planquait ; pas question d’être à plus de deux ».
Il s’engage dans la résistance, influencé par son père qui avait fait la Grande Guerre. C’est par la filière de la Vendéenne football qu’il est contacté. « Des officiers étaient passés par ce club. Ils nous ont proposé de rejoindre la résistance. Pour moi, c’était clair dans ma tête : c’était un devoir ». Lui et ses deux frères sont convoqués le même jour. Léandre partira de la Roche-sur-Yon, des Trois piquets, pour rejoindre le maquis installé dans un endroit qu’il connaît bien pour l’avoir fréquenté dans sa jeunesse. Nous sommes en juin 1944. « On a attendu la nuit pour rejoindre le Bois des Gats sur la commune de Dompierre, deux par deux, pour ne pas éveiller l’attention d’une patrouille allemande. On nous avait demandé d’emmener de bonnes chaussures de marche et une couverture. Rien d’autre ».
« Nous étions par groupe de 35 environ. Quelqu’un faisait le tour des popotes pour donner les instructions. On couchait par terre, quelquefois avec un tapis de fougère. Pas question de se laver, pas de rechange. On allait dans les fermes chercher de l’eau. Le plus dur, c’était la nourriture qu’on recevait au compte-goutte, par le boucher du village ou les fermiers des alentours. Je me souviens de fromages venant de Nesmy. Un morceau de pain et un peu de fromage midi et soir, ceci pendant 2 jours. C’est tout ». Le maquis reçoit ses premiers prisonniers. « Nous les installions dans une cuvette qui avait paraît-il déjà servi au Général Charrette durant le soulèvement vendéen. Quelques arbres ployés, des barbelés et le tour était joué ». Les prisonniers trop nombreux étaient déplacés vers les Sables. « Il y a eu quelques différends avec les Sables occupés à fêter leur victoire. Le convoi a été la cible d’explosifs avec beaucoup de tués ».
Le premier parachutage d’armes est annoncé vers la fin août. « Les opérations étaient coordonnées par un major américain qui se cachait dans une ferme voisine et qui correspondait avec l’Angleterre. Il fallait pédaler pour produire l’électricité nécessaire à la radio. ‘La maison est en briques rouges’ était le message codé. Nous avons allumé des feux pour indiquer l’endroit. On a reçu 40 cylindres d’armes, un des plus gros parachutages de Vendée. Je me souviens du sifflement des containers avant qu’ils n’atterrissent, un bruit énorme. Nous avons récupéré la toile des parachutes pour faire un abri, le tissu blanc ayant été récupéré pour faire des chemisiers pour les femmes ».
Un second parachutage suivra début septembre. « Les armes étaient destinées aux autres maquis, assez nombreux en Vendée ». Léandre rappelle une anecdote avec un brin de malice. « Un jour que j’étais de garde, j’ai aperçu la fille du château avec qui j’avais fait ma communion, qui entrait dans le bois, suivie quelques instants après par un officier. Sa mère qui était la châtelaine a accouru, coupant court à l’intrigue. Elles sont ressorties toutes 2 ; je n’ai pas revu l’officier qui deviendra par la suite le Général Chacun… ». La sortie du maquis se fait progressivement. Direction Aizenay, Challans. « Nous allions rejoindre les environs de St-Nazaire, l’objectif étant de cerner les Allemands ». Le trajet est ponctué d’anecdotes. « Je suis monté sur une protection de terre que nous avions érigée. Cela m’a valu le surnom de Malabar emprunté à un marin pêcheur breton ». Ou encore le coup de main donné aux femmes qui font la vendange. Mais l’heure n’est pas à la fête. Tout le matériel est transporté par les hommes. « Seul un cheval avec une charrette en fin de convoi. J’ai toujours refusé d’y monter, même quand j’en bavais ».
La compagnie établira sa base aux Moutiers en Retz. « On a formé une section mortier avec du matériel abandonné par les Allemands. Les séances de tir sur les lignes adverses réussissent tant bien que mal. Les officiers nous regardaient évoluer en étant en dehors de l’axe de tirs. Nous étions la chair à canon, mais nous avions encore la bravoure ». La poche de Saint-Nazaire comptera 22000 Allemands. « Ça nous a valu les félicitations d’Eisenhower. Quand de Gaulle est venu en Vendée, il nous a dit que nous n’avions fait que notre devoir… ». Léandre Martineau défilera sur les Champs le 14 juillet 45, devant de Gaulle et le Sultan du Maroc. « Nous étions fiers ».
Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’il rentre en Vendée et retrouve son travail chez les Eleveurs Vendéens. Courtisé par des collègues alsaciens qu’il estimait bien, il monte à Paris. « Ça m’intéressait d’apprendre autre chose ». Deux ans et demi plus tard, il rejoint un nouveau patron chez qui il reste 10 ans. « J’étais comme le fils de la famille et au final, j’ai été trahi par une bricole qui m’a valu mon poste. J’en avais gros sur le cœur ». Entre temps, il a connu lors de vacances vendéennes sa femme qui le suivra en banlieue parisienne. Il connaîtra une nouvelle aventure dans la boucherie chevaline que, lui, adapte à ses connaissances de charcutier. « C’était l’époque des hivers particulièrement froids des années 54 à 56. On était mal logés. Nous sommes revenus en Vendée ».
Nouvelle expérience suivie d’une désillusion à Olonne. Il retrouve alors l’entreprise de son ancien employeur, rachetée par le groupe Olida. « J’ai lancé pas mal de produits, notamment des pâtés pour animaux. Nous étions précurseurs. J’ai aussi donné une nouvelle forme au museau de bœuf. Mon invention a été reprise partout ensuite ». Il y restera 26 ans, jusqu’à la retraite, proche et respectueux de ses collaborateurs. « J’ai toujours cherché à améliorer leurs conditions de travail ».
Le monde d’aujourd’hui ne le rassure pas, lui qui pourtant a connu des périodes difficiles. « Après la guerre, on se murait dans le silence. Il y avait des rancœurs dans les familles. On ne parlait jamais du passé qui était encore récent ». Un tel conflit ne peut se reproduire. « Je ne pense pas que l’état d’esprit actuel, avec des comportements individualistes, pourrait trouver la mobilisation nécessaire. Ce monde me semble aussi dangereux, pour d’autres raisons ».
Il faut tirer des enseignements d’un tel récit….. Félicitations et respect Monsieur….
Merci M.Martineau , et quel bonheur pour moi d’avoir travaillé a vos côtés, belle leçon de vie , respect M . MARTINEAU .