Il habite Chavagnes en Paillers un peu par hasard. On l’a placé ici, lui le réfugié laotien, il y a une dizaine d’années. Dans le village, on l’appelle par son nom : Le (Prononcez Li). Ou encore le vietnamien. Il est connu pour rendre de nombreux services autour de lui. Issu d’une famille favorisée, il a choisi le camp des ‘pauvres’. Alors qu’il était dans un camp de réfugiés en Thaïlande, il est expatrié vers la France en 1976.

Ses parents sont vietnamiens. Ils ont pris le parti de la France et après la défaite de Dien-Bien-Phu, ils ont dû prendre l’exil. C’est au Laos que naît et grandit Vanthinh, au sein d’une famille aisée, avec un père sous-directeur au service des eaux, une mère bijoutière. « J’ai toujours aimé mes parents, mais ce milieu n’était pas celui dans lequel je me sentais à l’aise. Je préférais aller dans la rue, entraîné par les ‘grands frères de coeur’. Ils étaient têtes brûlées, n’écoutaient pas leurs parents, faisaient tout ce qu’ils voulaient. Le contraire de mon éducation. J’allais les voir en cachette, leur donnais un coup de main lorsqu’ils faisaient du cyclo-pousse ou du pousse-pousse. Les pauvres n’ont pas de grandes gueules, je les trouvais normaux par rapport aux riches qui pour moi étaient trop fiers ».

Une vision esseulée au sein de sa famille. « J’étais le seul enfant parmi les sept que nous étions à la maison à avoir ce comportement. Je suis parti de la maison sans donner de mes nouvelles, persuadé que je serais amené à les revoir. Ils vivaient dans le confort ; pour moi qui étais ado, ils me semblaient immortels. Et puis je n’aimais pas cette conception des riches avec les riches, les pauvres avec les pauvres. Tous les êtres humains sont pareils, non ? Comme j’étais un peu la brebis galeuse, j’ai pris ma liberté ».

Une liberté relative, qui le conduira rapidement dans les camps de réfugiés en Thaïlande. « Ces camps étaient organisés par l’Unicef. D’abord dans un camp laotien, puis finalement dans un camp vietnamien où je retrouvais un ‘petit frère’ qui était en réalité le petit-fils d’une amie de ma mère. Cette pratique du petit-fils de cœur est assez répandue en Asie.  Ma mère l’avait aimé ; je devais l’aimer et m’occuper de lui. Il avait une dizaine d’années. Dans ce camp, je n’étais pas bien car je ne parlais pas vietnamien. Je parlais français, alors France Terre d’Asile m’a proposé de me réfugier en France, avec ce petit frère de cœur et sa sœur qui avait 2 ans de plus. Arrivés en France, ils ont été pris en charge par la DASS. Moi, je me retrouvais à la rue, avec un statut de réfugié ».

Vanthinh avait quelques connaissances en France. « À l’époque il n’y avait pas Facebook, mais comme nous étions de culture française, nous avions accès aux revues ‘Salut les copains’ ou ‘Podium’ sur lesquelles on trouvait des possibilités de correspondance. J’écrivais et recevais parfois une réponse plusieurs semaines après ». Une fois à Paris il renoue contact. « Ils me disent de ne pas rester à ne rien faire et me proposent de faire le ‘ménage’ dans les boîtes de nuit du côté de Pigalle. J’ai découvert que le ménage, c’était en réalité d’éviter les bastons, faire respecter l’ordre. Je ne travaillais pas avec la force car je ne suis pas très costaud, mais avec ma tête. Je n’ai jamais eu de gros problèmes ».

Longtemps, Vanthinh n’a pas de donné de nouvelles à sa famille. « Un jour j’ai vu à Paris une copine de ma grande sœur qui m’a annoncé le décès de mon père. Il avait 55 ans. Je ne comprenais pas. Ma mère et mes frères et sœurs sont venus s’établir en France depuis. Une seule fois je suis retourné au Laos pour m’incliner sur la tombe de mon père. Je suis parti un vendredi, revenu le mardi suivant. Mon patron avait compris que je lui devais ça et il m’a offert le billet d’avion. Mon père avait beaucoup d’argent, mais il était généreux ».

« J’ai fait ce boulot durant 30 ans, toujours au black. En attendant l’âge de 65 ans pour prétendre à la retraite des réfugiés, alignée sur le minimum vieillesse, je touche 21€ par mois. J’ai sollicité le RSA ; j’attends ». Il a été marié à une française durant 20 ans. « Elle ne me voyait jamais la nuit ». Il a 3 enfants.

Ses principes de vie, Vanthinh les a conservés depuis sa jeunesse. « Quand j’ai 10€, je les partage. Si tu fais le bien, tu gagneras du bien. Et si ce n’est pas toi, ce sont tes enfants ou petits-enfants qui le recevront ». Un sens aigu de la fraternité. « Aujourd’hui, c’était la sépulture d’un ami. C’est moi qui tenais la croix. Je ne suis pas croyant mais je respecte toutes les religions. Je suis aussi à l’aise dans une église que dans une mosquée ou au temple. Chez moi j’ai plein de bouddhas destinés en principe aux enfants, qui m’ont été donnés car j’avais rendu des services à la famille. La religion pour moi, c’est d’abord dans le cœur ».

Des regrets, il n’en a pas. Il retrace sa vie avec philosophie. « Je préférais être pauvre en partant de chez moi au Laos que riche à la maison ». Nombreux sont les services qu’il rend autour de lui. « À la maison, il y a toujours une place disponible à table avec une part en rab ». Désormais, il aime échapper au bruit. « J’adore aller à la pêche et écouter les oiseaux à 6 heures du matin. Ça change des boîtes de nuit ! ». Enfant il aimait y aller avec son père …