Le besoin de créer ajouté à la force des regards qu’elle a croisés durant son activité d’orthophoniste, font que la retraite de Christine Hoffmann est à la fois active et artistique. « Le rapport avec les visages et surtout les yeux, ça remonte à mon enfance ». Le fruit d’une anxiété latente selon elle. « Si la peinture occupe une place importante chez moi, mon plaisir absolu c’est la vie de ma famille avec les enfants et les petits-enfants ».

Deux souvenirs très précis évoquent pour Christine son rapport aux portraits qu’elle aime peindre. « J’ai toujours la photo d’un jeune garçon que j’avais commencé à quadriller à l’âge de 6 ans pour pouvoir le reproduire. C’était une prise de conscience avec quelque chose qui me bouleversait. Je me souviens également du portrait d’un autre garçon accroché dans le dortoir d’un manoir où je faisais un stage de tennis. Je n’avais que mes deux yeux pour approcher ce que je ressentais ». Les ingrédients pour filer vers les beaux-arts semblaient réunis, d’autant que sa famille avait une sensibilité artistique.  « Les chemins de la vie en ont décidé autrement et finalement j’ai fait une carrière d’orthophoniste durant 35 ans. Et puis je voulais surtout fonder une famille qui aujourd’hui se multiplie ». Le besoin de créer par la peinture ne s’estompe pas pour autant.

En entrant dans l’atelier de Christine, on est immédiatement happé par le regard assez grave de ses portraits. « Je commence toujours par les yeux et je construis autour, sans savoir au départ si cela va être une fille ou un garçon. Les gens disent que mes personnages sont tristes. Pour moi ce n’est pas le cas. Je ne suis pas triste du tout, même si depuis mon enfance je suis habitée par une sorte d’anxiété latente. Enfant, j’ai fréquenté les hôpitaux ».

« La mélancolie est un bon moteur créatif pour moi. Je la chasse avec la peinture. Ce n’est pas une mélancolie douloureuse ; c’est une petite musique qui n’est pas de la souffrance ». Cette mélancolie la rend plus attentive aux autres, notamment lorsqu’elle exerçait son métier. « Dans mon cabinet j’ai vu beaucoup de situations de détresse qui relevaient autant de la psychothérapie que de l’orthophonie. Tout passe par le regard. Chez les enfants comme chez les plus vieux ». Ne dit-on pas d’ailleurs que l’expression du regard est la seule chose qui ne vieillit pas chez les humains ?

Dans la famille de Christine, la peinture ne pousse pas à l’isolement. Bien au contraire. « Ma mère avait une vie plus difficile. Elle vendait de la laine. Cela ne l’a pas empêchée de développer sa créativité dans les vêtements qu’elle confectionnait. Ma grand-mère créait aussi de très belles choses avec des meubles design dans une maison ultramoderne. On la prenait pour une folle. Mais on retrouvait ses idées dans les catalogues de déco 20 ans après ». Les enfants Hoffmann ne sont pas en reste. « Vous leur donnez une maison en ruine ; ils en font une merveille ».

Ses références dans le domaine de la peinture portent le nom d’Albert Deman qu’elle a connu. « C’était un proche de la famille de mon mari. Le personnage m’inquiétait parfois un peu. Je suis toujours attirée par ses couleurs lorsque je peins des fleurs ». Modigliani ? « Je suis capable de rester une heure et demie devant un de ses tableaux ». Elle aime explorer le travail d’artistes moins connus comme Egon Schiele. « Je ne prétends pas m’en inspirer, mais ça me nourrit ».

Elle donne le coup de main sans arrêt à ses enfants en gardant les petits-enfants. « Moi-même je garde de merveilleux souvenirs de chez ma grand-mère avec les cousins cousines. Nous allions courir dans les dunes. Mon bonheur aujourd’hui c’est de voir mes petits-enfants autour de nous, jouer sur la plage ou dans le jardin, aller à la pêche, faire du surf… ». Une vie remplie de bonheur alors ? « J’ai connu un échec colossal lors d’un premier mariage alors que j’étais bien malade. Ça été violent. J’ai réussi à surmonter, comme tout le monde ».

« Je mets souvent des croix sur mes tableaux alors que  je ne suis pas croyante. Je ne comprends pas. Les formules métaphysiques ce n’est pas pour moi et je ne veux pas chercher d’explications là où il n’y en a pas. La peinture c’est d’abord une espèce de plaisir, tout autant qu’une nécessité pour moi qui ai besoin de créer » dit-elle dans un éclat de rire.

Avec son mari Xavier, Christine savoure les bons moments. « Nous sommes différents et complémentaires. Lui m’a emmené Albert Deman. Moi j’aime l’emmener vers les musées ». La pandémie freine les sorties depuis quelques mois, mais les pistes d’évasion de l’esprit sont toujours bien nourries par la lecture ou la réception des amis. Sans oublier… la peinture !