Difficile de dissocier l’un de l’autre dans ce couple uni par le sport. C’est Jean-Claude qui se fait le porte-parole de leurs aventures partagées. Ils ont escaladé ensemble les hauts sommets d’Amérique latine ou d’Asie, réalisé de nombreux treks. Depuis une quinzaine d’années, ils pratiquent toujours le ski, mais c’est le vélo qui désormais fait partie du rituel quotidien. « Si on ne fait pas nos 60 kilomètres par jour, on n’est pas bien ». Leur compteur affiche plus de 93000 kilomètres en 15 ans -plus de 2 fois le tour de la terre- 5130 depuis le début de l’année alors qu’ils n’ont pas fait d’itinérant en raison de la pandémie.

Lui était plutôt du genre à fréquenter les boîtes de nuit et les restaurants. Sa femme Danielle pratiquait la danse classique. « Elle m’a dit un jour : tu ne pourrais pas dépenser ton argent autrement ? On pourrait faire un peu de montagne, me dit-elle, mais je n’y connaissais rien. J’ai essayé. Tout de suite ça m’a plu. En discutant avec un gars qui descendait avec les crampons et le baudrier, ça m’a donné envie de me frotter aux glaciers. D’abord en France, puis j’ai eu envie d’aller faire des sommets à plus de 6 000 mètres. Ça supposait une très bonne condition physique avec footing et musculation ». Ce goût de la montagne les a entraînés entre escalades et treks au Chili, en Argentine, au Pakistan, l’Inde, le Népal.

Jean-Claude a ramené avec lui de merveilleux souvenirs. « Je me souviens en particulier d’un soir où j’étais sorti seul. Je rencontre un yack man qui avait installé sa tente. Nous ne pouvions pas nous comprendre par la parole. Il réparait ses chaussures avec du poil qu’il retirait d’une peau de chèvre. Il m’a offert le thé avec du beurre de yack rance dans une boite de fer ronde après avoir fait la prière pour enlever l’image du Dalaï-Lama qui se trouvait dessus… On ne s’est rien dit, mais quand j’en parle, j’en ai encore le frisson ». Un moment de silence où tout passe par le regard.

Lorsqu’ils font la grande traversée du Dolpo au Népal, ils empruntent un territoire qui venait juste d’ouvrir aux touristes. « Je voulais acheter une chèvre pour la cuisine, mais les gens qui vivaient en autarcie n’acceptaient pas l’argent. Et je n’avais rien à leur donner en guise de troc ». L’entraide avec les porteurs les a marqués. « Comme j’étais cuisinier, j’aidais parfois à la préparation des repas avec eux. Ça crée forcément des liens. La deuxième fois que nous sommes allés au Pakistan, ils m’ont embrassé comme si j’étais un des leurs ».

Un autre grand souvenir aurait pu tourner au drame. « Nous voulions escalader le Condoriri en Bolivie, jamais gravi par des français. Il n’est pas très élevé (5800 mètres) mais ses pentes glacées sont très dures. Au lever du soleil, nous n’avions pas monté la moitié. Le guide a été sauvé d’une chute qui aurait pu être fatale grâce à son piolet. Nous avons rebroussé chemin. Cette décision a été très difficile à prendre quand l’obsession te rend un peu aveugle sur la difficulté ».

« A 55 ans je me suis dit : il faut qu’on arrête les conneries. Je voyais des mecs de 60 balais qui crachaient leurs poumons tout en haut. Alors on s’est mis à faire du vélo. J’avais vendu mon dernier restaurant et nous avions une activité de chambre d’hôtes qui nous laissait du temps hors saison. On a fait de beaux itinéraires que nous préparions nous-mêmes, à Sète, St Jean Pied de Port, le Massif Central, les Causses, les Pyrénées, hélas sans l’Aubisque ni le Tourmalet qui étaient enneigés ». 

Alors c’est quoi le moteur de toutes ces sorties sportives ? « Il y a le goût du dépassement de soi, même si on devient raisonnable. Depuis trois ans, nos vélos sont électriques. L’effort est moindre mais le plaisir reste le même ». La vie de couple en est-elle renforcée ? « On est tout le temps ensemble. Du coup, le soir, on n’a plus grand-chose à se raconter. On s’engueule aussi ». Le point sur lequel ils s’accordent (entre beaucoup d’autres) ce sont les très nombreuses rencontres effectuées à l’occasion de leurs périples. « Moi qui bossais dans de bons restaurants, avec des politiques ou une clientèle d’affaires, j’adorais aller voir comment on vivait dans le monde. D’ailleurs eux, ça leur ferait le plus grand bien d’y aller aussi ! Il y a la pauvreté devant laquelle on est impuissant. Mais ça aide à relativiser tellement de choses quand tu reviens. Tu vois la vie différemment ».

Aujourd’hui, ils disent avoir les genoux un peu en vrac. « Si demain on m’annonce que je suis foutu, je n’aurai aucun regret. J’ai adoré mon boulot. Ma femme m’a fait découvrir la montagne et ensemble nous avons crapahuté sur les sommets. Qu’est-ce que je peux demander de mieux ? ».