Comme beaucoup de marins de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Jean-Claude a pêché la sardine. Mais ses souvenirs les plus marquants, il les a ramenés de la pêche au thon. « Nous partions pour 3 à 4 semaines et nous allions jusqu’aux Açores. Les conditions étaient parfois difficiles, mais ça ne m’a jamais ôté cette passion de la mer, mon espace de liberté à nul autre pareil ».

Ce serait à refaire, il signerait pour la même vie. « Je n’ai jamais eu peur en mer. Juste une fois, j’ai été accroché par un cargo. Quand j’ai vu qu’une partie de la passerelle était cassée, j’ai surtout eu peur pour mes gars… ». Les premières expéditions au thon étaient rudimentaires. « On emmenait de la viande et du pain pour un mois ; au début ça allait, mais les derniers jours… Sur un bateau plus récent, on emmenait jusqu’à 500 litres d’eau, réservée en priorité pour le moteur. On en gardait un peu pour la toilette du retour. Il y avait surtout l’eau de Cologne pour masquer les mauvaises odeurs. Le linge n’était pas lavé. Les vêtements étaient un peu rêches. Oui, les conditions étaient difficiles, mais c’était comme ça ! On bossait jusqu’à 18 heures par jour. La journée débutait à 5 heures, et quand il n’y avait pas trop de pêche, on faisait la sieste un jour sur 2, en alternant. S’il y avait un peu de temps libre le soir, c’était la partie de cartes ».

Pour Jean-Claude, la mer est synonyme de liberté. L’éloignement connaît cependant quelques revers. « J’ai un oncle qui est décédé à 34 ans d’une appendicite en mer. Il n’a pas pu être rapatrié suffisamment tôt. On n’arrêtait pas une expédition pour un malade. Il fallait croiser un autre bateau qui rentrait… ». La vie familiale en pâtit aussi. « Deux de mes trois enfants sont nés quand j’étais en mer. J’ai vu mon premier, il avait déjà 3 semaines. J’ai été informé par radio. Et quand on réceptionnait mal, c’est un autre bateau qui transmettait le message. Tous les jours, il y avait un appel du centre pour recenser les bateaux sur toute la côte. Aujourd’hui, rien à voir. A mes 50 ans, j’ai reçu comme cadeau une télévision que je pouvais suivre sur l’océan. Nous étions alors moins déconnectés ».

L’entraide entre marins n’est pas un vain mot. « Il y avait parfois des petits conflits. Et là c’était mon rôle de patron de calmer le jeu. Mais ça n’allait jamais loin. Souvent c’était juste du chambrage ».

Une fois à la retraite, Jean-Claude s’est engagé une dizaine d’années à la SNSM. « On sortait plus souvent pour des bateaux de plaisance que pour les professionnels. Il y avait parfois de fausses alertes, et nous ne pouvions pas rentrer avant qu’on nous en donne le signal. Le jour de la finale de la Coupe du Monde en 1998, j’ai été appelé pendant le match alors que nous étions réunis avec des amis à la maison. C’était pour quelqu’un qui était en panne de carburant. Conscient du dérangement, il a voulu nous donner le score. Je lui ai dit : Tais-toi ! ». Et Jean-Claude égrène ses nombreux souvenirs avec un sourire dont il ne se départit pas.

Son admiration va aujourd’hui vers les jeunes marins qui s’engagent. « De mon temps, nous étions plus de 500 marins ; aujourd’hui ils sont 100. J’admire le courage de ces jeunes qui bossent jusqu’à 18 heures par jour. Ils gagnent correctement leur vie et ils le méritent. » Avant de conclure : « J’aime lire des poèmes sur la mer d’ un voisin qui a 94 ans. Ça me prend les tripes ! ».