« Pourquoi s’intéresser à moi ? j’ai une vie lisse… » interroge d’emblée Christian. Il mène d’abord une longue carrière d’un peu plus de 42 ans comme sérieur (il déclinait des séries de patronage en chaussures selon les pointures), puis magasinier en accessoires de mode. Son métier lui plait beaucoup, au sein d’une petite entreprise familiale où les rapports sont courtois, mais distants. La convivialité qu’il apprécie n’est pas de cet univers. Le jour où il quitte l’entreprise, sur le chemin du retour, il passe voir le dirigeant d’une entreprise de pompes funèbres pour offrir ses services.

« Je suis le premier de ma famille à être né à l’hôpital, ou plutôt les premiers puisque je suis jumeau avec mon frère. Nous nous entendons parfaitement avec des tempéraments opposés ! J’étais en troisième lorsque mon père a pris sa retraite ; il avait 17 ans d’écart avec ma mère. Du coup, les ressources financières ne permettaient pas d’envisager des études longues : « si tu poursuis, tu te débrouilles pour payer ». Ce qui ne m’a pas affecté plus que ça puisque c’était le sort de beaucoup de mes copains. Je travaille donc l’été pour financer mon BEP de mécanicien monteur puis un CAP d’ajusteur. Quand il a fallu décrocher un emploi, j’ai visité 21 entreprises, et celle qui m’a retenu n’avait rien à voir avec ma formation. Une année de service militaire au Mans, puis retour dans la même boîte, alors que les dirigeants se séparaient pour lancer chacun leur activité. L’ambiance était toujours la même : boulot, boulot. Pas de place pour la convivialité.

S’il y a une chose que j’ai réussie dans ma vie, c’est mon mariage ! Pourtant ça a failli tourner au drame dans la semaine qui a suivi avec une intoxication au monoxyde de carbone. J’ai pu me traîner chez les voisins qui ont alerté les secours. Notre vie a été marquée par la maladie et la disparition de nos parents. Ça a duré 5 ans, quasiment sans répit. Quand je suis allé conduire mon père à la maison de retraite, c’était un crève-cœur. Mais tout ça nous a soudés. Ma femme travaillant le samedi, nous avions seulement le dimanche en commun comme jour de congé, et trois semaines de vacances l’été, avec nos 2 enfants.

Aujourd’hui j’occupe une grande partie de mon temps comme vacataire en pompes funèbres. C’est un domaine particulier mais pour moi c’est d’abord l’occasion de multiples contacts. Je n’ai aucune appréhension avec les défunts ; au contraire je leur parle ! Même quand je ne les connais pas. Souvent les familles partagent beaucoup de confidences à l’occasion d’un deuil. Pour faire cette activité, il faut beaucoup d’empathie et d’abord beaucoup de respect pour les défunts. J’ai mes rituels. Lors du premier contact j’appose la main sur l‘épaule en disant « reposez en paix » puis lors d’une mise en bière « est-ce que ça vous convient comme ça ? » ou encore avant de partir pour la cérémonie « Si vous êtes prêt, on y va ». Je n’ai évidemment pas de réponse, mais je ressens fortement sa présence. Durant tout le trajet, quand je suis seul avec le défunt, je lui parle encore. Je n’aime pas beaucoup le terme de ‘maître de cérémonie’, mais je l’exerce aujourd’hui non pas par conviction religieuse, mais pour rendre le moment digne, quel que soit l’environnement. Je n’aurais pas fait ça à 30 ans, mais aujourd’hui je m’épanouis pleinement en rendant ce service ».

Une vie lisse…?