Sans les mettre sur le même plan, Jean-Luc a fait deux belles rencontres dans sa vie : sa femme et le monde du syndicalisme. L’une et l’autre lui ont apporté un nouveau regard sur l’engagement. Il aime confronter ses idées, souvent illustrées d’anecdotes. L’injustice le fait sortir de ses gonds. Éprouvé par le deuil de sa femme, Geneviève, en mars 2018, il trouve les mots apaisants pour aborder ce sujet avec sa sensibilité.
Originaire de la Verrie, il s’amuse de son parcours scolaire. « Je n’étais ni manuel, ni intellectuel. » S’en suit une insertion dans le monde du travail propre à cette jeunesse des années 70. « À l’époque, les usines accueillaient largement. On quittait l’école, on travaillait ; on avait de l’argent pour mettre de l’essence dans la mobylette ; ça roulait ! » Il débutera dans l’habillement. Après un licenciement économique, direction la chaussure, avant de revenir dans le textile qui lui plaisait davantage. L’image du bon gendarme dans sa 4L qui va au-devant des gens lui donne envie de faire le service militaire dans la gendarmerie. « Surprise : ces militaires ont une notion de la justice qui ne rejoignait pas la mienne ; ça ne m’a pas convenu. »
Au retour de l’armée, il retrouve le monde ouvrier au sein de diverses entreprises, la dernière étant l’usine Gaston Jaunet à Treize-Vents. « Entre-temps, j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Elle m’a fait découvrir un autre milieu, une vision différente du monde. » Sans être alors engagé syndicalement, Jean-Luc n’hésite pas à prendre la parole pour encourager les changements porteurs d’un meilleur bien-être social. « Avec Geneviève on participait à des groupes de réflexion le week-end autour de l’action non violente. Un jour on s’est dit : et au quotidien, dans la semaine, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour prolonger ces réflexions ? C’est ainsi que je suis rentré dans le syndicalisme, au sein de la CFDT, l’organisation qui correspondait le mieux à mon éthique : être acteur du changement ».
Il a tout juste 30 ans quand il adhère. « Rapidement, j’ai été amené à prendre des responsabilités, sur le plan départemental, puis sur le plan national. Au point que le dilemme s’est vite posé : il fallait choisir entre le travail et le syndicalisme. Les responsables départementaux m’ont sollicité pour devenir permanent. J’ai appris à rouvrir les livres ; ça été un changement de milieu assez radical, enrichissant ».
Il exerce différentes responsabilités, parfois en première ligne, parfois en retrait ; jamais très loin. « Après avoir exercé dans l’interprofessionnel, j’ai intégré le bâtiment pour une action militante dirigée vers les TPE de moins de dix salariés, un milieu où l’action sociale n’est pas une priorité. J’avais souvent recours à cette comparaison : pour construire une maison il vous faut un plan, et bien notre plan dans le social s’appelle la convention collective et elle s’élabore en commun ». Un travail de proximité avec le BTP qui le conduira vers des responsabilités nationales. « Je suis devenu chef de file du secteur ‘protection sociale’ du BTP où je manageais une équipe d’administrateurs à la Caisse de retraite et de prévoyance de Pro BTP ».
Un parcours qui lui élargit les horizons. « J’ai appris tous les jours ». Les réunions l’amenaient souvent sur la capitale mais Jean-Luc fait le choix de rester en proximité familiale, au détriment de certaines propositions alléchantes. « L’environnement rural me convient bien, avec en parallèle la vie de famille avec nos deux enfants ». Ses souvenirs militants sont nombreux. « Le plus dur dans ce département où les associations d’employeurs sont nombreuses, c’était de faire reconnaître le fait syndical. Les employeurs étaient moins investis dans les structures patronales paritaires, là où en principe s’exerce le dialogue social ».
La maladie de Geneviève le contraint à mettre fin à ses activités syndicales en 2017. « Elle a été malade durant 13 ans. Les six premiers mois de ma retraite, je les ai passés à l’hôpital. Vivre le deuil et la retraite en même temps, c’est particulièrement difficile. C’est la double perte de socialisation : celle liée au monde du travail, celle liée à la vie de couple. C’est le monde qui s’écroule ; tu n’as plus de repères ». Son départ précipité de ses responsabilités syndicales n’est pas tombé dans l’oubli. « Mes collègues ont tenu à faire mon pot de départ à l’occasion d’un voyage sur Paris en décembre 2018. Ça m’a permis de boucler la boucle professionnelle. Je me suis dit alors : ça y est, je suis à la retraite. J’y suis effectivement depuis janvier 2019 ».
Une réparation professionnelle qui n’atténue pas le tsunami affectif que provoque le deuil. « Quatre ans plus tard, c’est toujours très présent, peut-être un peu moins douloureux, mais le vide est intact. Dans un deuil, souvent, il n’y a pas désamour. Notre histoire commune n’est pas close du fait de la séparation. Geneviève n’est pas mon ex-femme. Drôle d’ambivalence : elle n’est plus, et pourtant, nous, on est ».
Dans ce moment si particulier, Jean-Luc, abattu, trouve les ressources pour mettre à sa main un rituel bien formaté. « Les Pompes Funèbres font très bien leur travail ; ce n’est pas pour autant que tu dois tout accepter. Je me souviens que sur l’avis de décès ils voulaient marquer ‘Madame Soulard Geneviève’ quand moi je voulais seulement son prénom. Il a fallu que je leur fasse remarquer que c’était moi qui payais, donc je décidais ». Même questionnement lors de la cérémonie de l’au revoir. « Moi qui suis laïc, j’étais d’accord pour une cérémonie à la fois laïque et religieuse. Il n’y a pas de lieu dédié pour ça, pas de salles municipales disponibles, il ne restait que l’église. J’ai rencontré l’équipe paroissiale en leur expliquant ma démarche, mais dans une église, on est contraints par les rites catholiques. Heureusement dans ma famille il y a un prêtre qui était disponible et qui m’a compris. Cette question autour de l’accompagnement de l’au revoir m’avait perturbé. Ce n’est pas un sujet qu’on aborde facilement ».
Le monde d’aujourd’hui l’inquiète. « La guerre fait peur car elle est à la porte de chez nous. Mais elle ne doit pas nous faire oublier les autres conflits dans le monde, ou les enfants qui aujourd’hui encore, meurent de faim. Je me pose souvent la question de comment je peux agir ; ce n’est pas simple ». Son parcours non violent était proche de l’écologie. « Certains copains avec qui je militais contre les centrales nucléaires, militent aujourd’hui contre les éoliennes. Il y a des combats que je ne comprends plus ». L’épreuve familiale et le Covid l’ont isolé. « Je m’exprime facilement, mais je peux avoir parfois tendance à me renfermer. Depuis quelques semaines, j’éprouve le besoin de retrouver plus de vie sociale. J’ai renoué avec des groupes que je côtoyais par le passé, pour échanger. Mais au bout du bout, sur quoi est-on véritablement acteur ? Vaste question ».
Jean-Luc a toujours aimé mener sa barque. « J’essaie d’être acteur de ma vie, de prendre part aux décisions qui me concernent. J’aime défendre les idées que je crois justes, ce qui ne m’empêche pas de considérer les arguments développés en face. Je ne fais pas dans l’obstruction systématique ». Le dessin lui offre des instants d’évasion, tout comme l’écriture. En guise de conclusion, il livre ces mots écrits récemment. « … La pluie tombe. Laissons la couler comme il est bon de laisser couler nos larmes, de les faire porter par les flots de douleur ou de désespoir. La pluie et les pleurs sont essentielles à la régénération de la vie. Après la pluie, le beau temps sera là ».
Merci Jean-Luc, merci Jean-Marie