Depuis cinq ans en France, Nertil a vécu les trente premières années de sa vie en Albanie. Il réside provisoirement à Saint Malô du Bois, avant de retourner à St Laurent où il a déjà passé 4 ans. Il n’a pas fui son pays ; ce sont plutôt les circonstances familiales qui en ont décidé ainsi. Si la famille reste le socle le plus important de sa vie, sa fille Ajla, née en France, lui procure son énergie pour démêler les démarches administratives et appréhender la culture française.

C’est difficile pour lui d’évoquer les raisons de son départ d’Albanie pour la France. « C’est une affaire un peu triste et compliquée qui a commencé dans notre pays il y a 8 ans ». Il connait la France par son histoire, mais aussi par les touristes français qui fréquentent la région de Mallakastër où il tient un restaurant. « J’ai dû le fermer après des travaux qui ont modifié le trafic, comme beaucoup de restaurants dans le quartier. C’est grâce à mon père que j’exerçais ce métier. Lui, le pratiquait à titre secondaire. Il n’est pas rare en Albanie que nous ayons plusieurs emplois ». Ses études le conduiront à l’Université, mais il ne perd pas de vue le métier qu’il apprécie. « La restauration, je ne l’ai jamais quittée. J’aime beaucoup le contact et la relation avec les gens ».

Il conserve un très bon souvenir de son accueil en Vendée. « J’avais eu écho de cette solidarité qui existe ici. Des amis importants pour moi m’ont accompagné, freinant parfois mes ardeurs quand je voulais aller trop vite. C’est grâce à des gens solidaires comme ici que le monde va mieux ». Le couple arrive en juin 2017 et leur fille naît le 1er janvier 2018. « Le visa ne dure pas plus de 3 mois, mais comme ma fille est née ici, je ne suis pas obligé de retourner au pays. Elle grandit et va à l’école. Elle vit à la française ». Il tente d’obtenir une carte de séjour pour pouvoir travailler. « J’ai déjà bossé dans deux restaurants, aux Herbiers et à la Séguinière, mais dans chaque endroit, la Préfecture est intervenue pour que mon contrat cesse ». Une situation difficile à comprendre pour lui. « J’ai envie de travailler et il y a pénurie de main d’œuvre. Les lois doivent permettre d’améliorer la vie des gens ». Il ne perd pas espoir. « J’espère toujours trouver la lumière. C’est long mais maintenant, je comprends beaucoup de choses en France. Je dois continuer à avancer ».

Nertil relativise sa situation. « Bien sûr que mon pays me manque ; j’y ai vécu tant de choses. La vie est un apprentissage permanent. Quand tu changes de pays et de culture, tu recommences tout à zéro, comme un enfant qui apprend à marcher ». Un peu sceptique envers le monde politique, il garde sa confiance vis-à-vis de l’éducation religieuse qu’il a reçue. « Ma religion est le Bektashisme, une branche de la religion musulmane, très ouverte. Répandue en Albanie, cette religion est mon histoire. Je lis régulièrement les textes de référence ». Depuis toujours son projet de vie est d’avoir des enfants. « Depuis notre séparation, j’ai ma fille le week-end. Je pense à elle matin et soir ; elle me donne l’énergie, comme le soleil ».

Nertil cherche à s’intégrer à la vie locale. « J’aime bien être occupé et hier j’ai donné le coup de main à l’équipe du festival. C’est ma façon de contribuer. J’aime échanger avec les participants de tout et de rien ». Il a essayé jadis de pratiquer la musique. « Finalement, je préfère l’écouter. Ce n’est pas ma génération mais je reconnais le talent de Johnny Hallyday. Ensuite je découvre les nouveaux artistes avec The Voice. Être bénévole au festival ? C’est mon coup de pouce et ma façon de me rendre utile ».

Il attache beaucoup d’importance à la construction humaine. « Pour que les enfants aient des rêves et des projets, il faut les encourager à s’exprimer. Et ça c’est plus facile en France ». Lui se compare parfois à un enfant quand il faut apprendre une nouvelle langue par exemple. « J’ai appris le français avec les professeurs de St Gabriel et d’autres personnes. Je le comprends correctement, mais je ne parle pas très bien encore ».

Il ne sait pas combien de temps il restera ici. « Je suis sûr qu’un jour je vais arriver à quelque chose mais je ne sais pas quand ? ». Là où d’autres se décourageraient, lui garde confiance. « Malgré les difficultés je n’ai pas sombré. Peut-être grâce à Dieu ? Parfois, quand les gens sont en situation de survie, on ne peut pas leur reprocher de suivre le mauvais chemin. Grâce à mes amis, j’ai évité ces écarts. Ils ont toujours été là quand il le fallait. Cela me met en confiance. Je ne suis pas révolté ; je n’en veux à personne ».

Nertil aborde l’humanité avec une certaine philosophie. « La vie est une grande route avec une multitude de petits chemins ». L’Histoire des hommes le passionne. « Peut-être qu’on s’interroge plus sur le sens de la vie quand elle est un peu chamboulée ? ». Son cap est clair pour lui. « Le bien et le mal font partie de notre condition humaine. Il faut l’accepter et trouver le bon équilibre. Si tu te nourris de mal, tu fais le mal. Le bien t’élève, mais il ne fait pas disparaître le mal pour autant ».

Après la chute du régime communiste en 1991, l’Albanie fait l’apprentissage de la démocratie. « Le principal levier pour cette démocratie c’est le droit de vote. La France qui n’a pas connu la guerre depuis 70 ans donne le sentiment d’oublier ça ».

Il revient à son chemin de vie. « Je souhaite qu’il soit constructif, sans blesser les gens. Agir spontanément, sans arrière-pensée. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Ces petits gestes si importants sont à la portée de tout le monde ». Il se garde bien d’idéaliser. « Il faut accepter ses propres limites comme celles de l’humanité toute entière. Cette construction n’est jamais terminée ; Il faut la faire en pensant à nos enfants et moi à ma fille. C’est ma raison de vivre ».