Avec sa broche à méchoui, il a sillonné la Vendée et les départements voisins. Son pseudo ‘Toto’ donne un avant-goût du personnage. Sa truelle de plâtrier était vite rangée quand il fallait préparer l’agneau ou le goret. Il en a fait rôtir plus d’un millier depuis une bonne trentaine d’années. Et la journée se terminait toujours en chantant ou en dansant. Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans…

C’est une figure du village, et bien au-delà. « Mon père était cantonnier communal, et fossoyeur. Il creusait les tombes à la pelle. En dehors de l’aîné de mes frères qui était curé, mes autres frangins sont partis à la ferme. Moi j’avais dit à ma mère : je veux faire n’importe quoi, sauf être gagé. Longtemps je l’ai entendue dire : i veut to faire, sauf garder les vaches ». Il a 14 ans lorsqu’il passe régulièrement devant une maison en construction où travaille un plâtrier. « Vous n’avez pas besoin de commis ? Il m’a embauché. J’aurais pu être pâtissier, mais la place était prise ».

Son patron ne s’encombre pas de ses obligations d’employeur. « Un jour que j’ai eu besoin de mon numéro de sécu, je me suis aperçu que je n’étais pas inscrit. Même chose avec les cours d’apprentissage, il y avait toujours une bonne raison pour que je n’y aille pas. Mon père, excédé, a fait un courrier à qui de droit. La réponse est parvenue directement au patron : je n’étais plus bienvenu. Au bout de 18 mois, j’ai tout repris à zéro chez un autre patron à Luçon ». Tonin fera son service chez les paras à Tarbes. « J’ai peu fait l’Algérie, seulement 13 mois, car mon frère y était déjà. Il n’y avait jamais deux frères d’une même famille ». A son retour, il retourne chez son patron avant de s’installer seul cinq ans plus tard aux Moutiers.

Le plâtrier carreleur commence à se faire une réputation de plâtrier traiteur dit-on d’un œil amusé dans son entourage. « Les méchouis sont apparus après la guerre d’Algérie, une tradition là-bas. J’accompagnais de temps à autre mon voisin qui en faisait. C’est quelque chose qui m’a plu. Les premiers ne devaient pas être parfaitement cuits, mais je progressais ; ça me plaisait. Ces jours-là, on rigolait, on chantait, parfois on dansait. Même si j’y ai laissé un peu de ma santé, je ne regrette rien ». Il y avait les habitués parmi ses clients. « Il est encore meilleur que l’an dernier ». Qui font des émules un peu partout. « Je suis allé à Carcassonne, à Paris, mais la plupart étaient dans le coin ou dans les départements voisins. Un truc de fou. J’étais réputé pour chanter après le méchoui ; je n’ai pas pu accepter toutes les sollicitations que j’ai eues ». Il en fera tout de même plus de 1000 au long de ces 30 ans. « Si le paradis des moutons existe, je n’y serai pas bienvenu » s’amuse-t-il. Un pic à 54 méchouis une même année, avec parfois quatre jours de suite. Il fallait aligner les briques le lundi matin. « J’ai hésité à en faire mon métier, faire la tournée des plages comme les food trucks aujourd’hui. Je n’ai pas eu le culot ».

Comme sur les chantiers autrefois où il passait sa journée à chanter avec son patron, le chant reste un plaisir. Il poursuit d’ailleurs dans une chorale. « Mon patron chantait des chants appris par son père lors de la guerre de 14. Aujourd’hui sur les chantiers, faut du potin, mais ça ne chante plus ». Sur les méchouis il chante seul, le plus souvent sans accompagnement. « Je me suis retrouvé quelquefois avec Gilles Guerry qui avait un chaudron et un couvercle de lessiveuse en guise de batterie. J’étais sur place dès 7 heures le matin pour mettre au feu, et après le repas je tombais le tablier pour danser. Des journées de 16 à 17 heures… ».

Les anecdotes (il n’en révélera que quelques-unes !) sont croustillantes comme le bon pain. « Un jour j’ai renversé le chaudron de mogettes juste avant le service. Heureusement que je doublais avec de la ratatouille ». Il y a parfois des surprises sur la bestiole. « Entre le client qui a oublié de tuer l’agneau ou celui qui avait enveloppé un cochon qui était vert lorsqu’on l’a déballé…il a fallu en trouver un autre. On était de temps en temps sur la corde raide ; ça faisait le charme ».

Les aventures pyrénéennes de Tonin constituent un chapitre tout aussi savoureux. « J’ai retapé une bergerie que j’avais achetée en 78 pour la mettre en location. C’était à Lourdios-Ichère. Quand j’allais à la mairie pour un problème, on m’envoyait directement chez le maire, Jean Lassalle. La première fois que je suis allé chez lui, j’aperçois un monsieur de dos dans la cour. Je demande à voir M le Maire. Il me répond avec son accent : attendez que je pisse… ». La bergerie a été la proie des flammes quelques années plus tard. « Il y avait une belle solidarité villageoise. Quand les travaux ont été terminés, j’ai organisé un car à venir de Vendée. M le Maire avait organisé une visite au Somport, à l’époque du tunnel. A table, les chansons béarnaises et vendéennes alternaient. Je passe les détails, mais beaucoup s’en souviennent ».

Presqu’aussi connu que l’ours des Pyrénées ; pour le moins, autant que le loup blanc dans le bocage. « Si j’en crois les réactions, je faisais plaisir aux gens ; je me faisais plaisir aussi ». Toujours avec le souci d’améliorer la prestation. « Je voulais toujours faire mieux. Je cuisinais la ratatouille avec les cumins et autres épices. En entrée, c’était moules marinières ; un régal. Puis je faisais un dessert. J’ai eu jusqu’à 200 convives à la Tranche où j’allais souvent pour les compétitions de planches à voile. Ma femme Claudette avait la charge du service avec une partie de la famille ».

Un jeune reprend le flambeau depuis quelques années. « Je l’ai aidé deux petites années, juste avant le Covid. Les gens s’amusent différemment aujourd’hui. Mis à part l’amicale des parachutistes ou celle des légionnaires, ça ne chante plus. Les jeunes passent à table vers 15h30 après avoir longtemps tourné autour de la tireuse à bière ».

Lui qui termine chaque phrase ou presque en riant, il affiche moins le sourire lorsqu’il est question d’actualité. « Il suffit d’allumer la télé. Même les rapports entre les gens sont plus tendus je trouve. Ça se chamaille pour pas grand-chose ». Il a effectué deux mandats comme conseiller municipal. « Poser un simple miroir à un carrefour, c’était tout un truc avec les autorisations dans tous les sens ». Il lui arrive d’être taciturne à la maison, lui le joyeux luron. Il respecte l’éducation qu’il a reçue, tout en restant ouvert. « Quand on me commandait un méchoui, je ne demandais pas la religion. J’en ai fait pour tout le monde avec le même cœur ».

A propos, pourquoi l’appelle-t-on Toto ? « Chez mon patron, nous étions deux apprentis : Urbain et Antonin. Il trouvait que ça se ressemblait trop. Alors il a dit à mon collègue : toi ce sera Tintin. Et puis moi : Toto. C’est resté ! ». Et ça lui va bien.