Chaque jour, Lucie est entourée de ses 10 000 poules pondeuses, et autant de followers sur les réseaux sociaux. Elle est éleveuse et influenceuse. Un métier agricole qu’elle choisit pour être aux côtés de son mari et briser ainsi le risque de la solitude. Une cause qui l’anime : elle intervient sur le plateau de France 2 aux côtés d’Edouard Bergeon et Guillaume Canet après la projection du film ‘Au nom de la terre’. Une exposition médiatique qui révèle son regard acéré sur le métier.
La solidarité cimentera la rencontre de Lucie avec son mari. « J’étais à Nantes quand la tempête Xynthia a sévi sur nos côtes, tout près de chez nous. Je ne pouvais pas rester sans rien faire et j’ai rejoint des bénévoles pour nettoyer des caves, dégager des meubles… Parmi les bénévoles se trouvait celui qui deviendra mon mari. Nous étions animés du même élan de solidarité ». Un agriculteur, qui habite le village voisin. « En me rapprochant de lui, je revenais à mes propres racines. J’étais en études de philo à Nantes ; ma licence terminée, j’ai fait un master à la Roche pour pouvoir rentrer tous les soirs ». Un premier Master en enseignement ne lui plaît que moyennement. « J’en ai passé un second, orienté vers la formation adulte ». Elle n’a pas terminé que la Maison Familiale Rurale de St Martin de Freigneau lui propose un poste. « J’avais 27 ans ; il était temps de travailler. Tout en terminant mon second master, je deviens formatrice dans l’enseignement agricole avec un mari agriculteur ». Transmettre le savoir la passionne. « À travers les visites de stage, je découvre mon territoire et surtout plein d’exploitations… »
Lucie devient maman en 2017. « Je réalise un peu plus tard que je laisse ma fille chez la nounou 10 heures par jour, le temps que j’enseigne à des ados. J’étais pourtant une formatrice passionnée, mais pour moi, ça n’avait plus de sens ». Elle ne veut pas que son mari soit seul sur la ferme. « J’ai mesuré en visitant les fermes le risque de s’isoler, de se perdre. On a décidé de construire quelque chose ensemble ». Lui sera en charge des cultures sur une centaine d’hectares. Elle s’occupera de l’élevage poules pondeuses, un parcours sur 6 hectares en plein air, avant une conversion au bio. « Je n’oppose pas les modes de production. Aujourd’hui, la ferme exploite aussi bien en bio qu’en conventionnel. Je suis sensible au bien-être animal. Avec le bio, je passe de 9 poules au m² à 6 poules ». Les œufs sont vendus par les circuits courts et la GMS. « Avec la GMS on touche les gens qui n’ont pas accès aux circuits courts ou qui n’en ont pas les moyens. Mais si les grands distributeurs ne revalorisent pas les prix, je ne sais pas combien de temps on va tenir. Je veux nourrir la population la plus large possible, mais j’aimerais que mon travail soit davantage reconnu ».
Alors Lucie se prend en main pour animer elle-même une communauté qui n’est pas que virtuelle. « Je compte plus de 9000 abonnés sur Twitter et 7000 sur YouTube. Ma première motivation, c’est de rompre avec la solitude, moi qui étais entourée avant de faire ce métier. Je veux aussi rendre compte objectivement de ce qui se passe dans mon élevage. Le risque de salmonelles ne permet pas de l’ouvrir au grand public ; les gens comprennent. Il existe aujourd’hui les moyens technologiques de travailler de façon transparente sans que des organisations extérieures s’infiltrent sauvagement. Je veux continuer à faire de la pédagogie, comme sur mon métier précédent ».
L’influence qu’elle exerce ne passe pas inaperçue. « Très rapidement, on m’a sollicitée pour entrer au conseil d’administration de la CAVAC. Je côtoie des gens qui ont 20 ans de métier, et moi je débarque avec ma petite expérience. C’est le pied ». Une petite expérience à relativiser car en matière de communication elle n’a peut-être pas son pareil autour de la table ? Edouard Bergeon, le réalisateur du film ‘Au nom de la terre’ l’a repérée et invitée sur le plateau de France 2 pour le débat qui fera suite au film. « J’avais déjà été sensibilisée par son film ‘Les fils de la terre’ 10 ans plus tôt. La question du suicide en agriculture était déjà centrale puisque l’éleveur qu’il suivait avait fait une tentative ». Une thématique douloureuse, chère à Edouard Bergeon, qu’il reprendra dans le film ‘Au nom de la terre’. « Je me souviens en particulier de la scène ou la vis d’alimentation tombe en panne. J’avais connu le même problème dans mon poulailler l’avant-veille, m’obligeant à prendre les seaux pour nourrir mes 15000 poules. C’était saisissant. Je me suis dit : C’est nous ! Au-delà du drame c’est quand même l’histoire de bon nombre d’agriculteurs à qui on a fait subir une pression folle pour investir ». Bien que le film soit une fiction, inspirée de faits réels, il n’échappe pas à la critique. « L’histoire du glyphosate utilisé à la fin ne doit pas occulter le problème de fond du mal être paysan. Certains s’en sont arrêtés à une critique de l’usage des pesticides là où il était en fait question d’un drame humain ».
Lucie s’attend à de nombreuses réactions après la diffusion. « C’est toujours frustrant de n’avoir que quelques minutes pour répondre aux questions et aller au fond des sujets. J’aurais voulu approfondir la question des marges avec la GMS qui se font sur le dos des agriculteurs. Je l’ai seulement effleurée. Je ne demande pas à renverser la table sur le modèle agricole, juste trouver plus d’équité en étant correctement payée ».
Optimiste indécrottable, elle se demande si elle n’appartient pas à la ‘génération sacrifiée’ comme elle l’entend souvent autour d’elle. « Les générations d’avant étaient mieux reconnues pour leur mission de nourrir les hommes. Aujourd’hui, on nous impose un tas de choses qui nous étranglent. Oui à la transition ; qu’on nous donne les moyens qui vont avec ». Devoir se justifier lui pèse. « Là on n’est plus dans la pédagogie mais dans l’accusation. On ne reste pas les bras croisés pour autant. Nous sommes de plus en plus nombreux à communiquer sur les réseaux. J’ai toujours envie de croire qu’on va réussir à vivre correctement de notre travail ».
Lorsqu’elle n’est pas avec ses poules ou en représentation, elle est avec ses enfants. « C’est non négociable ; même si je fais parfois autre chose tout en étant avec eux. J’ai mis pas mal de choses en mode ‘pause’, la lecture, la peinture. Il me reste le vélo. J’adore le vélo ».
Lucie n’a pas de figure de proue. « Je n’aime pas idolâtrer. Je suis plutôt éponge et je me nourris de tout ce qui peut m’arriver, des rencontres. Il y a des personnes déterminantes pour arriver à ce que je suis aujourd’hui, à commencer par mon mari ». Les enseignants ont joué un rôle important à ses yeux. « Sans remonter le fil de ma vie j’ai connu des moments difficiles. Il a fallu que je me construise, d’où l’intérêt d’aller en philo. J’étais une coquille vide ; il fallait que je me remplisse, que je me construise. J’étais trop dans la passion, le sentiment. J’allais dans le mur. Pendant trois ans, je me suis mis en mode quasi minimaliste. J’ai avalé tous mes livres de philo sur les grandes thématiques qui ont traversé l’humanité depuis l’Antiquité à aujourd’hui, le monde des idées, l’amitié, l’Amour… ».
Sa notoriété en germe ne lui tourne pas la tête. « Rencontrer un ministre ou aller débattre sur un plateau de France 2 ne me déstabilise pas. Mes relations proches me prennent parfois pour une extraterrestre ou disent que je transforme les choses en or. Je peux en dire autant de beaucoup de personnes que je connais ».
Twitter : @JoliesRousses
YouTube : Plein les Y’œufs Les Jolies Rousses
J’aimerai pouvoir échanger avec cette dame sur son modèle.J’ai 1500 poules pondeuses bio depuis début 2021 avec vente directe en magasin bio , GMS