Entre les jeunes qui sont déjà vieux dans leur tête, et le sage qui dit : 80 ans, je n’ai plus d’yeux, plus d’oreilles, plus de jambes, plus de souffle, et c’est étonnant comment on s’en passe… La vieillesse est un éventail aux multiples perceptions. Directrice d’EHPAD et aujourd’hui psychologue libérale du grand âge, Emmanuelle aime bien les vieilles personnes. Elle et ses collègues étaient en première ligne au début de la crise sanitaire.

Née à la Verrie, elle passe son enfance à Tiffauges. Emmanuelle fera son lycée aux Herbiers à Jean XXIII pour envisager des études de psychologie. « J’ai songé un moment à une carrière scientifique, mais je suis vite revenue à la psycho ». Elle procède par élimination pour retenir la gérontologie quand beaucoup optent pour la petite enfance. « J’ai débarqué dans des unités de vie pour personnes âgées et malades Alzheimer où j’ai été bousculée par ce qu’on nommait la démence sénile. J’ai validé mon diplôme avec l’intention de rester travailler dans ce domaine-là ». À l’époque, les postes ne sont pas si nombreux. Elle assurera différentes missions, notamment auprès des 16-25 ans, animera diverses formations. Mais le sujet qui lui tient à cœur, c’est le grand âge.

Deux bébés s’annoncent, deux filles âgées aujourd’hui de 25 ans. Son mari enseigne en lycée agricole. « Nous étions en Sarthe. Nous nous sommes rapprochés de notre famille, à Tillières, avec ces 2 bébés sous le bras qui méritaient une pause maman ». Par la suite elle fera des remplacements de psychologue en gérontologie. Puis on lui fait appel pour mettre en place un CLIC (Centre Local d’Information et de Coordination) dans la région du vignoble nantais. « J’ai beaucoup aimé ces sept années de mise en relation des professionnels avec les familles autour des situations problématiques à domicile ». Parmi ces professionnels, des directeurs d’EHPAD qui l’incitent à les rejoindre. « J’ai fait ma formation à Meslay en 2008 ; elle répondait à tout ce que j’attendais ».

Directrice durant sept ans de l’EHPAD du Longeron « Une belle aventure » avant que l’établissement n’entame une restructuration architecturale, elle s’oriente vers un autre mode d’accompagnement des anciens. « Une résidence senior avec services. Ma mission dans ce milieu privé lucratif englobait une fonction commerciale qui ne me correspondait pas du tout. Je suis partie 6 mois plus tard ». Elle assure alors des remplacements de direction de plusieurs mois, Pont St Martin, St Philbert de Grand Lieu. Un projet atypique l’attire vers Somloire. « Une petite structure de 25 places, portée au sein d’un petit village d’irréductibles Gaulois qui font tout pour garder leurs aînés à proximité (Ehpad, accueil de jour, portage de repas, transport solidaire,…). Un établissement à taille humaine avec la possibilité de répondre aux besoins personnalisés des habitants ». C’est là qu’elle vivra le tourbillon sanitaire de la COVID 19

« On a tout blindé, tout verrouillé. Nous nous sommes retrouvés piégés dans des injonctions paradoxales mettant à mal notre éthique professionnelle. Heureusement il y avait une forte cohésion au sein des équipes, essayant de placer le curseur au juste niveau de la sécurité pour garder un minimum de convivialité. Mais il y a eu des journées où nous changions d’avis toutes les 2 heures ; c’était l’affolement. Un moment très dense qui, par certains aspects, nous a poussés à être créatifs, comme les contacts vidéo avec les familles, les visites des familles dans le jardin ». Son établissement n’a pas connu de grosses vagues de décès. « Des collègues ont connu des épisodes terribles ». Les résidents se répartissent en deux camps. « Ceux qui veulent se protéger, qui ont connu la grippe espagnole et qui ne veulent pas se faire avoir par ce petit virus. A l’inverse, il y a ceux qui disent : qu’on parte à cause de ce virus ou pour autre chose, ce n’est pas si grave. Les comportements vis-à-vis des gestes barrières différent en fonction. Autant de leçons de vie ».

Un métier qui cependant l’épuise. Il y a des jours où je perdais mon enthousiasme. La taille de la structure nécessitait des rapprochements administratifs qui n’avançaient pas. Je suis allée au bout de mon contrat de 3 ans que j’ai prolongé pour faciliter le passage de relais. Je suis partie en février 2021 ».

Déménagement sur Cugand avec un projet en tête. « J’avais envie de lancer une activité libérale pour exercer ce que j’ai toujours aimé : l’accompagnement individuel. J’avais 50 ans ; il était temps ». Travailler en solo quand on a toujours été en équipe n’est pas si évident. « Heureusement j’ai gardé un réseau indispensable. C’est ce réseau qui m’a permis d’entrer en contact avec l’HAD (Hospitalisation à domicile) de Nantes ». Installée depuis fin 2021, Emmanuelle reçoit ses premiers patients. « Le plus souvent c’est l’environnement familial qui prend contact. Mais deux personnes sont venues de leur propre chef. La psychologie, pour cette génération, est encore rattachée à l’idée de folie, non remboursée par la Sécu… »

Il y a deux perceptions des vieux. « Il y a nos vieux à nous, ceux de nos familles ou de notre voisinage auxquels on est attaché affectivement ; et qui représentent la belle vieillesse. Et puis il y a les autres vieux qui nous font flipper parce qu’ils représentent la dépendance, la maladie, et aussi la mort. On n’a pas envie de s’y projeter ».  Le tout c’est d’accepter de vieillir. « On peut éprouver du plaisir à 90 ans dès lors qu’on a toujours envie d’apprendre, être dans l’échange, et se sentir utile. Je me souviens d’une résidente qui a débuté la peinture à 75 ans, une autre qui a découvert l’informatique à 90 ans et qui tapait les menus de fête avec un seul doigt ». La sagesse gagne du terrain avec l’âge. « La mémoire s’envole, le corps ralentit, l’espace se restreint. Certains accèdent alors à une dimension plus spirituelle, plus intellectuelle ». C’est en observant les effets du vieillissement qu’Emmanuelle a choisi de faire du yoga. « Je suis plus souple à 52 ans que je ne l’étais à 40 ».

Elle aime s’entourer de gens souriants. « Et si de mon côté je peux ramener un peu de sourire, un peu de légèreté, c’est ma petite pierre à l’édifice. Je reste connectée à la réalité de notre monde complexe, mais j’ai banni les journaux télévisés ». Ce qui la rend particulièrement heureuse, c’est précisément de voir ses proches heureux. « Ma famille, mes amis, mes voisins. Je n’ai pas véritablement de passion, si ce n’est la relation aux gens. Je suis une vraie éponge aux leçons de vie, comme celles que je lis dans Pose vagabonde !!! ».

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