Si Alain vous propose de courir avec lui, soyez prudent. Lui avale les kilomètres par centaines, jusqu’à 340 en 2017 à Royan, aux portes du top 10 mondial. Quelques saisons auparavant, il a porté le maillot de l’équipe de France, toujours en amateur. Ce passionné est aussi professeur de trompette au conservatoire de la Roche-sur-Yon. Une passion révélée devant le petit écran à l’âge de 6 ans.

Originaire de la Taillée dans le sud Vendée, Alain est un enfant assez hyperactif, presque turbulent. « Pour aller chez le grand-père au Langon, ou pour aller taper le ballon, on faisait tout à vélo. Rien à voir avec les enfants d’aujourd’hui, plantés devant la télé. Nous on avait 3 chaînes ! ». Il joue au foot, en pointillés. « Une saison oui, une saison non. C’est durant mon service militaire qu’avec un copain, j’ai parié que je ferais Tours-Orléans en courant ». Une bagatelle de 120 kilomètres dont la préparation au rythme de 3 fois 30 kilomètres par semaine lui offre une échappatoire à la caserne. « Je n’étais pas très militariste.  Pourtant,  j’étais dans l’harmonie du régiment de Tours ».

En 2008, courir l’ultra prend pour Alain des allures compensatrices. « Ça fait suite à un divorce et la perte d’un enfant très proche de 16 ans, tué dans un accident en 2006. Un jour, en allant faire un concert à Bordeaux, sur l’autoroute, j’ai eu un flash, une prise de conscience alors que j’allais péter un câble. J’ai annulé mes concerts d’été, pris mon sac à dos pour traverser les Pyrénées en 34 jours, d’Ouest en Est. J’avais besoin de vivre pour moi ». L’année suivante, il prend le départ et termine les 100 kilomètres de Chavagnes-en-Paillers. « Je constate qu’avec un rythme très faible de 115 pulsations/minute, j’ai une endurance qui me permet d’envisager des grandes distances, plusieurs par an. La plupart de mes 100 kilomètres sont préparatoires à des courses plus longues, sur 24 heures ».

Au fil des saisons, il repousse ses limites. « En 2009 je termine 3ème du Grand Raid 56 dans le Golfe, derrière 2 circadiens ». Les portes de l’équipe de France, dont l’entrée est très disputée, deviennent son objectif. « Je m’en approche en 2011 en terminant 7ème aux championnats de France. J’ai gagné ma sélection en équipe de France en courant 246 kilomètres à Villenave d’Ornon en 2014. J’ai pleuré comme un gamin qui reçoit un super cadeau de Noël en enfilant ce maillot tricolore à 50 ans ». Il croise la route des champions. « Nous occupions la même chambre avec Stéphane Ruel ».

Il réfute le mot ‘sacrifice’. « C’est un choix assumé que je vis comme un amateur qui aime véritablement sa passion ». Son palmarès brille de médailles collectives. « Le bronze à Turin aux championnats d’Europe par équipe, où je termine 3ème français. L’or l’année suivante à Albi, toujours par équipe, avec mes copains qui, ce jour-là, ont fait le boulot ».

2017 sera une année sans. « Je n’arrive plus à performer le jour J sur 24 heures ». C’est pourtant cette année-là qu’il réalise la performance de 340 kilomètres. « C’est marrant, sur la dernière heure,  je suis très bien. C’est dans la tête que ça lâche ou qu’au contraire ça tient ». Il enchaîne une course par étapes en Espagne. « Je me suis blessé ; le muscle du mollet ne fait plus son boulot de ressort. Mon corps a beaucoup donné pendant 10 ans. Je le respecte, en espérant que ça revienne. Pour compenser, je fais du vélo ». Jamais dans la demi-mesure. « Je peux faire 150 kilomètres par jour pendant un mois. Je suis allé à Bratislava, ou en Hollande ». Il réalise en revenant que la blessure est toujours là. « Je prends un coup au moral, pensant que je ne pourrai plus courir ». Une copine le sollicite pour qu’il l’accompagne sur sa préparation du raid des Templiers. « Je me suis entraîné pendant six mois à sa vitesse. Depuis, j’ai envie de m’amuser ». S’amuser… enfin presque. « J’ai gagné la Backyard Infinity Trail à l’Ile d’Aix l’an dernier en parcourant près de 235 kilomètres en 35 heures. Il faut gérer le sommeil. On va aujourd’hui vers des distances de fous en dépassant les 500 kilomètres… ».

Alain est donc qualifié pour le Championnat du Monde Backyard qui aura lieu mi-octobre dans le Vaucluse. « Une course imaginée par Lazarus, l’organisateur de la célèbre et mythique Barkley dans le Tennessee. L’épreuve a lieu simultanément dans tous les pays participants ; les vainqueurs gagnent leur billet pour le championnat du monde l’année suivante aux States».

Son palmarès est éloquent. « Merci papa, merci maman de m’avoir donné un corps qui permet ça. Je ne vais jamais jusqu’à la douleur. J’arrête quand je commence à ressentir une grosse gêne ». Au total, Alain aura couru une quinzaine de 24 heures et de 100 kilomètres, 10 au-dessus de 200…  des courses à étapes (super pour l’ambiance).

Cette pratique en amateur ne l’exonère pas d’avoir un métier, une pratique artistique en l’occurrence. Alain est professeur de trompette au conservatoire de la Roche-sur-Yon. « J’avais 5 ou 6 ans quand je regardais ‘les musiciens du samedi soir’ avec un orchestre symphonique. C’est mon père qui joue du petit tuba qui va m’apprendre le solfège ». Fanfare du village, philharmonie à l’armée, conservatoire. « J’ai joué dans plusieurs formations, des bigs bands ou des orchestres symphoniques, aux USA, en Chine, mais je me suis vite rendu compte que ce qui me passionnait plus que tout, c’était l’enseignement que j’ai pratiqué avec le solfège puis la trompette . Trouver les déclics qui vont permettre aux enfants de surmonter leurs défauts, ça me passionne ».

Depuis quinze ans, il multiplie les itinéraires à vélo. « Les déplacements à l’étranger pour la musique, c’était hôtel, bus, répétition, concert… Pas le temps de découvrir le pays. Je fais plus de découvertes lors de mes périples à vélo ; c’est beaucoup plus riche ». Alain part seul, pendant un mois et demi. « J’ai la chance d’avoir deux mois de vacances l’été. Partir seul est un besoin pour moi, une sorte de pèlerinage où je me retrouve avec mon fils disparu. C’est aussi une échappatoire où je vais à mon rythme, dans ce monde qui va à 100 à l’heure ».

Il trouve que tout va trop vite. « Pas surprenant qu’il y ait autant de burnouts. Les perspectives ne sont guère réjouissantes : l’environnement, les écarts de richesse, le logement… C’est aberrant de travailler et d’être quasi en mode survie. Le cycle des civilisations prospères ne dépasse pas les 300 ans. On approche probablement la phase de déclin ».

L’optimiste reprend vite le dessus quand il pense à ses projets. « J’aimerais courir le Spartathlon en Grèce ou le Sakura Michy au Japon ». En guise de conclusion, il cite un tromboniste. « Tutoyer les limites de l’impossible pour repousser les limites du possible ». Comme un trait d’union entre le sport et la musique. Tout Alain en somme.