Originaire de Vix dans le marais, Dominique affirme que c’est la DDASS qui l’a tiré d’affaires. Ainé d’une famille recomposée de 11 enfants, modeste. Il regarde son histoire avec une certaine philosophie et un gros trait d’humour. Un gars de la débrouille qui a retroussé les manches pour monter sa friterie et pour passer son poids lourd. Un vrai bon gars, un peu en marge comme il le dit, champion de la dérision, y compris sur son propre compte.

Il donne le ton d’emblée. « Moi à l’école j’étais en CPPN, Classe Préparatoire Pour les Nouilles ». À la maison, ce n’était pourtant pas drôle tous les jours. « Mes parents ont divorcé, puis le beau-père est arrivé. Un jour, je l’écoutais à travers le plancher de la chambre. Il parlait de moi en disant à ma mère : Dominique, je vais le dresser moi. Je me suis dit : toi, tu vas avoir du fil à retordre. J’ai bouché le trou du canon de son fusil de chasse, dévissé les roues avant de son cyclomoteur, pissé dans le réservoir…Je me suis pris des raclées. Il voulait me mettre en maison de correction. L’assistante sociale a bien vu le truc. Je me suis retrouvé dans un foyer de semi-liberté. J’y étais mieux que chez moi, même si ce champ de liberté était presque trop ouvert pour moi… ». Il conserve quelques bons souvenirs. « Quand on allait dans le bourg, tous les enfants dans la remorque tractée par le motoculteur ; on n’avait pas les moyens d’avoir une bagnole ».

Trublion, Dominique est casse-cou. « J’ai eu plein d’accidents, une voiture qui m’a coupé devant ; je me suis tranché le bras avec une meuleuse…J’ai eu 12 anesthésies générales, une péridurale. J’ai un bon mètre de cicatrices sur le corps. J’ai la chance de marcher comme ça, mais je ne peux pas me mettre à genoux par exemple. J’ai passé mes 18 ans à l’hosto et j’ai failli récidiver pour les 20 ans ».

La DDASS l’a sorti de son marais. « Je serais resté là-bas, j’aurais fini en gars ‘bousomeux’ ». Il est expulsé du foyer un an et un jour après y être rentré, se retrouve à la rue. « J’ai fait le con. Je ne savais rien faire, mais j’ai réussi à rentrer en apprentissage comme mécanicien poids lourd. J’ai raté mon CAP, là encore suite à ma jambe cassée ; j’ai raté 6 mois d’école. Je n’étais pas particulièrement motivé ; moi, je voulais être routier ». Un collègue le retrouve un matin, endormi dans une camionnette qui faisait office de chambre. « Il m’a hébergé pendant près de 4 mois. Sa femme était en école psy. J’étais un bon sujet pour elle ». La sauvegarde de l’enfance lui déniche plus tard un appartement sur la Roche sur Yon. Obstiné, il obtiendra son permis PL 20 ans plus tard. « J’ai fini par l’avoir ; je me le suis payé ».

Entre temps, il a moins de 30 ans lorsqu’il ouvre sa friterie Dom Burger à Chantonnay. « J’allais ouvrir le snack tout seul. Peu de temps avant d’ouvrir j’ai fait la connaissance de ma compagne, Marie Noëlla de la Corte Gomez, avec qui je suis toujours. Sa famille est Andalouse. Elle était du genre ‘peace and love’, végétarienne, mais ça n’a pas duré. On a eu un enfant ; moi qui avais élevé mes frangins et frangines, je n’en voulais pas 36 ».

Son esprit d’entreprise lui permet d’être son propre chef. « Pour être inséré dans la société, il faut travailler. Même quand tu veux rester à la marge, il faut bosser pour ne pas dépendre de quiconque. Et pourtant, je n’ai jamais eu envie de rentrer dans le moule ». Borderline, raisonnable. Il sait apprécier les mains tendues. « Il y a les gens qui sont bien, qui ont envie de t’aider ; en retour, tu ne veux pas les décevoir. J’irai même à dire que parfois, parce que tu viens de la DDASS, il y a une empathie particulière ».

Une fois la saison estivale terminée, il revient comme salarié dans une entreprise de chaussures. « Le Covid a foutu le bazar. En plus ma femme s’occupe de sa mère qui a 93 ans. Du coup, nous n’avons pas ouvert l’été dernier. Mon employeur avait besoin de moi, alors que depuis 21 ans, je ne venais que l’hiver. Je crois que pour le restau, maintenant les carottes sont cuites ». Malgré un parcours non conventionnel, sans le moindre CDI, il a toujours eu la confiance de ses partenaires. « Ma banquière a toujours suivi, y compris pour ma caravane Airstream alu. Un jour je suis passé voir le contrôleur des impôts qui m’avait aidé au lancement. Je suis allé lui offrir mes vœux, sans n’avoir rien à lui demander. Il s’est pris d’empathie à mon égard ».

Ses histoires de voitures sont rocambolesques. « J’ai longtemps roulé en Ami 6 ; mon oncle allait la mettre à la casse. Je me suis amusé à aller aux ventes des domaines à un moment donné. C’est comme ça que j’ai acheté ma 2CV et une moto de gendarme, toujours immatriculée. J’évitais de la sortir le jour ».

Dominique sait relativiser les choses. « Quand tu touches le fond, tu ne peux que remonter. Il y a toujours plus malheureux. Le seul qui peut t’aider à t’en sortir, c’est toi. Je ne suis pas jaloux de qui que ce soit. Juste un peu envieux du courage de certains. La vie des gens connus ne m’intéresse pas ». Ses distractions sont plus musicales que littéraires. « Je ne bouquine pas ; à la limite une BD aux toilettes…Côté musique, j’aime Higelin. Ça c’est un bon mec. Au départ, à la DDASS j’aimais Renaud, mais le pognon l’a mis en contradiction avec ses idées de départ ».

Il n’est pas nostalgique. « J’aimerais juste être un peu plus jeune. Avec tous les jetons que j’ai eus, j’ai un peu peur de mal vieillir ». Il mène son bout de chemin à sa guise. « Au début du confinement, que je n’ai jamais respecté, il m’est arrivé de mettre huit heures pour aller chercher mon pain. Je connais tout le monde le long de la route, et là, je savais qu’ils étaient chez eux ».