Sans détours, Yannick se prête au jeu du portrait, pour mêler le sien à celui des gens d’ici, plus anonymes. L’Autre occupe une place singulière dans sa vie. En livrant sur scène ses tourments intérieurs avec le mot drôle et le sourire en coin, suivis d’un silence qui questionne, la scène est à la fois son exutoire et ce bouquet d’émotions que lui renvoie le public. Ses rencontres artistiques, sa quête mystique, le Temple Solaire, les bienfaits de la marche, la langue maternelle…du Jaulin à cœur ouvert.

C’est à l’Aigail d’Aubigny que Yannick découvre, ado, l’éducation populaire. « Un endroit où on va fouiller autre chose que le folklore. La sacralisation du passé sous une forme folklorique m’agace ». Dès l’âge de 13 ou 14 ans, il plonge sa quête de sens dans les ouvrages mystiques. « À l’époque, j’ai la sensation que l’église catholique dans laquelle j’ai baigné, est devenue une identité de façade, avec des rituels mécaniques qui ne sont plus habités ». Il va rechercher une forme d’intensité ailleurs. « En collectant des témoignages dès l’âge de 15 ans, je rencontre des gens porteurs de richesses qui ont une réelle vision du monde sans avoir eu les outils de l’Education Nationale. Je comprends qu’on peut apprendre le monde autrement ». On lui demande un jour de raconter publiquement ces histoires empilées. « Je le fais en patois, mais je les modernise pour les rendre plus audibles. Je sens un truc d’une puissance incroyable dans ce lien avec les gens. Le conte est un art populaire qui, à travers ces histoires, promène nos archétypes, nos peurs les plus profondes ».

Il se retrouve presque malgré lui rangé parmi les comiques et les humoristes. « Quand en 1990 je reçois des mains de Jerry Lewis la Tasse d’Or à Cannes, c’est quasi un accident. Je mets un côté facétieux au service de mes histoires, sans être sous la tyrannie du gag ». La langue permet aussi de décaler le propos. « Il y a une truculence rabelaisienne dans nos langues populaires ». La parole comme révélateur. « C’est ce qui m’intéresse en montant sur scène, révéler ma propre identité pour révéler celle du monde qui m’entoure ». Titiller les gens pour qu’ils révèlent la leur, préserver un héritage culturel qui à ses yeux est occulté par une forme de modernité ou ici, par le Puy du Fou. « Les gens aiment le passé, mais ils ne vont pas le fouiller vraiment. Pour se connecter à la richesse et la sagesse d’un territoire, je préfère l’identité profonde d’un individu à une identité de façade. Moi c’est ce qui m’a botté en allant voir les anciens. J’étais dépositaire de témoignages très forts que je voulais remettre au goût du jour. C’est pour ça que je me sens très vendéen ».

Cet autodidacte touche à tout est également rockeur. « Le jour on collectait les histoires chez les vieux, et le soir on s’explosait avec les groupes américains comme Doobie Brothers, Jefferson Airplane ou encore Zappa. Mon premier rock, je l’ai écrit sous un baobab en Afrique, l’été où on allait livrer des 404 en traversant le Sahara. J’ai retrouvé il y a peu de temps chez mes parents les lettres que je leur envoyais d’Afrique ; elles étaient écrites en patois… ».

Yannick revient sur les faits marquants de sa propre histoire. « J’ai commencé comme animateur dans le Marais poitevin, un soulagement pour mes parents car je venais de trouver un métier. Et à l’époque, dès que tu avais un CDI, c’était parti pour le restant de tes jours ! ». Pourtant sa femme ne le voit pas tout à fait comme ça. « Tu ne vas pas faire ça toute ta vie ? » lui dit-elle. « Avec cette phrase, je voyais les murs tomber et l’immensité du chemin qui m’attendait. Six mois plus tard j’étais à mi-temps, un an plus tard j’étais professionnel. Ma première femme m’a aidé à rassembler mon énergie. Comme dit une mémé : un homme sans femme, olé comme un cheval sans brides ».

Un parcours fait de rencontres. « En 1987 Olivier Poubelle est devenu mon producteur et il l’est toujours aujourd’hui (Astérios). Il fait partie des gens qui m’ont stimulé. J’ai parfois des envies que je renâcle à faire. J’ai besoin d’être entouré, besoin du collectif. Je ne peux travailler seul ; c’est pour ça que je ne peux être écrivain ». Une autre rencontre déterminante ? « Wajdi Mouawad avec qui j’ai joué une pièce. J’ai admiré sa capacité à descendre dans l’âme profonde des gens ».

La dérive mystique du Temple Solaire est douloureuse jusqu’à ce que Yannick la mette en scène avec un spectacle ‘Terrien’. « J’avais le sentiment d’être une peu complice du massacre, bien que je sois parti un an avant qu’il ait lieu. Au départ ça commence avec des gens très bien, un bon enseignement. Puis un noyau dur venu de Suisse s’en est emparé. Terrible le sectarisme ». Une expérience qu’il met pourtant en perspective des dérives actuelles qu’il déplore. « Le matérialisme ambiant est ahurissant. Les gens éprouvent toujours le besoin de croire et trouver du sens à leur existence, mais c’est trop souvent à travers les fake news ou les théories simplistes ».

C’est lui qui a impulsé l’aventure de Pougne Herisson. « En 1990 on inaugure le Nombril du Monde comme une plaisanterie ». Une plaisanterie qui se transforme en aventure culturelle forte de six salariés aujourd’hui. « C’est devenu une institution, avec les risques que cela comporte, mais j’y vais toujours. Je prépare la transmission ». Une belle histoire marquée cependant par un épisode plus difficile. « En 2003 j’ai participé un voyage officiel avec Raffarin. Je lui devais par fidélité à ce qu’il avait fait comme président de région pour le Nombril. Sauf qu’au retour, je me suis fait lyncher par des compagnies de rue, en pleine grève des intermittents. Je n’avais pas été compris, sans doute un peu le bouc émissaire, mais quelque chose s’est effondré en moi ». Après son premier divorce, il fait une nouvelle rencontre amoureuse qui l’amène à habiter à Rennes où il habite toujours.

Il se définit comme un pessimiste optimiste, facétieux avec au fond une vraie mélancolie. « Je me souviens de 81 où tous mes potes s’extasiaient de l’élection de Mitterand. Je savais que ça ne changerait rien. On ne pourra changer la société si on ne change pas l’homme en profondeur ». Il est conscient de la dégradation de l’environnement, sans s’en inquiéter plus que ça. « Cela donnera naissance à autre chose ; je ne sais quoi ? ». Il a moins de certitudes aujourd’hui qu’il y a 40 ans. « Maintenant que je suis plus lucide, je suis aussi plus paralysé. Je veux être de plus en plus sur la scène comme je suis dans la vie, un homme relié à lui-même. Je reçois autant que j’ai aimé ; c’est une nourriture incroyable ».

La marche est pour lui un grand révélateur. « La plupart de mes chansons je les ai écrites en marchant ou en courant. J’ai besoin du déséquilibre de la marche pour me mettre en mouvement ». La convivialité est son carburant. « J’habite à Rennes dans un quartier populaire où j’ai retrouvé une ambiance de village, où je peux aller toquer à une porte pour boire l’apéro sans prévenir. Et ça, ça n’existe quasiment plus dans notre société ». Nick Cave, Bowie, font partie de son univers musical.

Il se désole que les langues anciennes soient placées au rencart de la vieillerie folklorique. « C’est même un outil d’énonciation du monde d’aujourd’hui, un lien à des émotions profondes. Quand on arrête une langue, on arrête la transmission de la culture. Quand j’entends les vieux patoisants, ça me traverse les tripes ».