C’est en empruntant une petite route de campagne que je croise Marie-Thé, il y a déjà quelques semaines. Juste le temps de faire la photo. La causette est remise à plus tard. En retraite depuis onze ans, elle marche tous les jours, plusieurs fois par jour, jusqu’à 20 kilomètres, sauf en cas de verglas ou de grosse tempête. Chaque soir, elle consigne sa journée sur son journal de bord.

Elle regrette la petite maison de son enfance, perchée seule sur la colline de Saint Michel. « Il y a longtemps que je l’ai dit à mon mari, mais il n’est pas prêt à partir ». Petite fille pleine d’envies, elle ne pourra s’exprimer à sa guise. « Nous étions quatre filles et n’avions pas le droit à la parole, avec un père peu présent, une maman assez autoritaire avec sa posture judéo-chrétienne sans concessions. Si je posais une question, j’étais rabrouée ». Pas surprenant qu’elle ait éprouvé très jeune ce besoin d’évasion dans la nature.

Pas facile non plus d’être en confiance pour choisir une voie professionnelle. « Je rêvais d’être enseignante, puis j’ai été très malade à l’âge de 16 ans. Mes parents ne pouvaient me payer des études. Il m’a fallu travailler trois ans en usine pour reprendre ensuite le chemin de l’école. Grâce à un travail soutenu, j’ai pu réussir à réaliser mon rêve : devenir enseignante ». Marie-Thé enseignera durant 25 ans à St Michel et au Vieux Pouzauges. « J’étais timide, pas toujours à l’aise avec les équipes enseignantes au début de ma carrière ». Elle priorise les enfants. « Je voulais qu’ils puissent apprendre dans le plaisir. Je me suis intéressée très vite au développement psychomoteur et psycho-affectif, à l’enseignement par les arts ». Les retours qu’elle a des parents ou des enfants l’encouragent, son mari aussi. « Je me suis alors spécialisée pour aider les enfants en difficulté d’apprentissage. Passionnant. J’ai suivi de nombreuses formations variées. Les vacances scolaires d’avril et d’août étaient consacrées aux formations en différents coins de la France. Je prenais énormément de plaisir à dispenser une pédagogie pertinente ».

Gestion mentale, neurosciences… tout ce qui l’aide à comprendre le fonctionnement du cerveau la passionne. « Chez l’enfant en difficulté, je cherchais le point de blocage ». Comme chez cet enfant qui refusait ce qui était scolaire. « Il préférait le bricolage. Un jour il a voulu exposer le personnage en carton qu’il avait créé. Je lui demande : comment les autres élèves sauront que c’est ton travail ? Il n’y avait qu’une solution : signer sa production. C’est ainsi qu’il a appris à écrire son prénom. C’était parti ! »

Vers la fin de sa carrière, Marie-Thé intervenait dans six écoles. « Là je prenais beaucoup de plaisir à travailler avec les équipes. Je proposais des pistes pour la classe ». Les contraintes administratives et les temps de trajet entre chaque école la rendent cependant moins disponible. « Je passais moins de temps avec les enfants. En 2009, je décide d’arrêter. Le système ne correspondait plus à ma représentation du métier ». C’est sans compter que depuis 2004, Marie-Thé intervient auprès des familles et des enfants dans le cadre d’une structure associative. « C’était vraiment efficace. Je voyais trois ou quatre enfants par semaine, avec quinze jours entre chaque séance pour qu’ils s’approprient mes conseils ». Un engagement qui n’a pas échappé au CFP qui l’a sollicitée pour intervenir auprès des enseignants. « J’atteignais mon objectif de partager et de réfléchir sur l’espoir qu’on pouvait avoir chez les enfants en difficulté ». Le confinement marquera le point d’arrêt de son association.

Même sentence pour les cours de danse de salon qu’elle suivait avec son mari au rythme de deux fois par semaine. La pandémie n’a pas eu raison de son besoin de marcher. « La marche est bénéfique tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. J’ai surmonté une névrite grâce à la marche en montagne. J’aime marcher toute seule, contempler la nature à qui je peux tout confier. Je peux pleurer, je peux chanter. C’est un moyen pour moi de libérer mes émotions. Je ne suis pas coléreuse, mais je peux avoir un peu de stress. La marche est un bon moyen de tout libérer ». L’autre activité journalière ? « Mon journal de bord que je trouve de plus en plus positif ».

Elle aime revêtir des tenues moins ordinaires. « C’est une façon d’exprimer mon envie de vivre. Il m’a fallu surmonter le regard des autres ». Y compris celui de sa mère. « Dans le milieu enseignant, je retrouvais une sorte d’uniforme cloisonné qui ne me convenait pas. A la danse, on m’appelle l’espagnole. Parfois, il y a des gens qui viennent me féliciter pour mes tenues ».

Marie-Thé se méfie des médias. « Je me protège de plus en plus : pas de télé, très peu d’internet, tout juste un peu de radio pour connaître l’actualité. Je n’ai pas l’impression de décrocher. J’aime discuter avec les gens que je rencontre en marchant ». Elle considère qu’elle peut donner d’elle une image un peu pessimiste, mais elle corrige aussitôt. « Au fond de moi, il y a toujours une petite lumière. Toute ma vie a été comme ça. Je m’en suis toujours sortie ». Elle privilégie l’instant présent. « Je laisse la mélancolie du passé ou la crainte de l’avenir de côté ».

Elle a transformé les souffrances de son enfance pour mieux aider les élèves en difficulté. « Moi qui ai grandi dans la contrainte et les interdits, j’essayais d’apporter mon aide, parfois avec fermeté, compréhension, jamais dans la sévérité. Mon souhait était que les enfants apprennent à s’affirmer ». Et de conclure : « Dans la vie, on n’a rien sans peine. Face à la difficulté, il faut se battre, trouver la petite lumière qu’on a en soi ».