L’onde de choc de la guerre du Vietnam a touché tous les pays limitrophes pendant de nombreuses années, dont le Laos où est née Tchia, pendant le Pathet Lao. Elle se considère avant tout de la communauté des Hmong, montagnards du nord du pays, au nombre de plusieurs milliers en France. Réputés pour leurs connaissances de maraîchers, beaucoup sont passés par la Guyane. Ce sera le cas pour la famille de Tchia, arrivée alors qu’elle a 4 ans. Elle y vivra toute sa jeunesse, suivra une formation comptable, avant de devenir maraîchère à Saint Mesmin.

Avec ses parents, elle a d’abord vécu en camp de réfugiés en Thaïlande pendant deux ans. « Mes souvenirs sont ceux que mes sœurs et parents m’ont racontés. Mes parents ont été pris en charge par les prêtres missionnaires ». La famille s’exile vers la Guyane où un plan vert est programmé avec l’expérience de ces pionniers du maraîchage. Les terres sont pauvres, avec beaucoup de latérite. « En 1977, nous étions environ 500 dans ce département français. Aujourd’hui, les Hmong représentent 2 % de la population guyanaise.  Mes parents faisaient la culture du maïs, chou et pomme de terre au Laos. Ils cultivaient également le pavot ».

Tchia suit une formation comptable qui la mènera au BTS. « Rapidement, j’ai trouvé du travail dans la comptabilité ». Sur ce territoire français d’outre-mer, la culture hmong se confronte au mode de vie occidental, même si les traditions persistent. « Le sexe mâle est prédominant. L’héritage familial est distribué aux seuls garçons, sachant que les filles bénéficieront de celui des beaux-parents. Tout le monde doit se marier, quitte à ce que le choix du mari se fasse par les parents ou  devenir une seconde épouse, les hmong étant polygames. Les veufs ne peuvent rester seuls. Le village de mes parents « Cacao » est composé majoritairement de Hmong. Les traditions résistent ».

Elle a 22 ans lorsqu’elle rencontre Jean, ce vendéen venu faire un service volontaire long en Guyane. « Nous nous sommes fréquentés. Je suis venue d’abord en vacances et rapidement je suis tombée malade avec le climat. J’ai quitté le sol guyanais sous 32°, suis arrivée à Paris avec 5°, à St Mesmin : 0°. Qu’est-ce qu’on ne fait pas par amour ? ». Le futur couple s’interroge : où s’établir ? Jean n’est pas hostile à la Guyane, mais la pérennité de l’entreprise de menuiserie familiale le contraint de rester ici. « À mon arrivée, je ne connaissais personne, hormis une tante à Rennes, mais je ne l’avais jamais vue. Nos familles sont dispatchées entre l’Europe et les Etats-Unis ». Tchia qui ne peut rester à ne rien faire, déniche des petits boulots saisonniers ou en usine. « J’ai ensuite trouvé ma place au sein de l’entreprise familiale sur proposition de ma belle-mère qui arrêtait. Quelques tensions sont apparues au fil des ans. J’ai quitté progressivement l’entreprise en démarrant une activité de maraîchage, d’abord à mi-temps, puis à plein temps à compter de juin 2016 ».

Elle reçoit diverses propositions d’emploi sur ses compétences comptables. « Je pensais que c’était le moment de changer. J’avais déjà beaucoup travaillé avec mes parents. Toutes les vacances scolaires se passaient dans les champs, de 6 heures le matin à 22 heures. Moi qui avais dit ne jamais faire ce métier… Ma mère s’en est amusée lorsque je lui ai dit que je m’installais ».

Tchia apprécie de travailler pour son propre compte. « Je n’ai de comptes à rendre à personne ». Son projet est mûrement réfléchi. Ses connaissances lui permettent de se constituer rapidement une clientèle. Tchia, très attachée aux cultures naturelles, se fâche pourtant avec le label ‘Bio’. « La cotisation est la même quelle que soit la surface de l’exploitation. Pour moi qui cultive sur 6 000 mètres carrés, c’était excessif ». Elle est convaincue de limiter la quantité pour privilégier la qualité. « Je suis en culture sans engrais, pesticides et insecticides chimiques ». Elle est en veille permanente. « Les techniques évoluent vite ». Elle construit deux nouvelles serres qui viendront s’ajouter aux trois existantes, une grande et deux petites. Elle travaille seule. « J’ai seulement des saisonniers l’été, pour quelques semaines. Ils ne tiennent pas longtemps tellement le métier est physique ».

Sa spécialité est le radis japonais. « Je développe la culture sur sol vivant, sans labour qui détruit l’écosystème. Certains légumes ont besoin de terre meuble, alors je griffe ou j’enchausse. J’ai recours aussi à l’engrais vert, une technique qui consiste à mettre sous bâche de l’herbe qui va se transformer en humus. Quand on n’appauvrit pas le sol, les productions doublent. Pourquoi les partisans de l’intensif ne comprennent pas ça ? ». Est-ce qu’on peut nourrir toute la population avec ce type de culture ? « Si on n’essaie pas, on ne saura jamais ».

Tchia est sensible aux propos du dalaï-lama même si sa culture c’est l’animisme. « Mes parents sont devenus catholiques puisqu’ils ont travaillé pour l’Église avant de partir en Guyane ». Ce qui l’indigne le plus, c’est la jalousie et la course à la consommation. « Je ne suis pas adepte des marques ou du tape-à-l’œil ». Elle milite pour la Paix dans le monde et les droits des femmes. Elle cite à nouveau le Dalaï-Lama : « Demain sera l’âge de la femme ». Elle voyage, se cultive. « Je suis hyperactive. Je ne peux rester à ne rien faire. Je lis beaucoup. Je m’intéresse aux essais en matière de maraîchage ».

Elle garde sa confiance en l’homme. « Ce n’est pas parce que sur le marché j’ai un client moins sympa que je dois mettre tout le monde dans le même sac. Heureusement. Bon, le français est quand même râleur, critique et toujours en retard » s’amuse-t-elle. Son havre de paix, c’est sa cuisine. « J’y suis la plus heureuse du monde quand je prépare les légumes de mon jardin ; c’est ma détente ». Les occupants de ses chambres d’hôtes ne démentiront pas.

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