Erwan est né au Cambodge, Kan de son prénom de naissance, adopté à l’âge d’un an par une maman d’origine bretonne venue s’installer en Vendée. A 17 ans, alors qu’il est en plein questionnement sur sa propre histoire, il demande à sa mère adoptive de l’emmener découvrir son pays de naissance…

Quand il naît en 2001, Phnom Penh referme tout juste les dernières cicatrices de la période Khmers rouges. « Ma mère est décédée à ma naissance. Mon père était pauvre, avait perdu ses frères et sœur durant la guerre et était sans travail, ni instruction. On m’a dit depuis que j’étais très maigre et que j’avais été placé dans un orphelinat nutritionnel ». Son père est triste de cette décision et il demande au chef du village d’écrire en son nom les raisons de ce choix. « Ma mère adoptive est parent seule. Elle est restée presqu’un an pour accomplir les démarches administratives. Je suis arrivé en France le 24 décembre 2001 ».

Comme un certain nombre d’enfants adoptés, la question de savoir d’où il vient le tourmente. « À mes 17 ans, je demande à ma mère d’aller visiter le pays. Elle avait mis un pécule de côté, devinant que cette question viendrait un jour où l’autre. Elle est venue avec moi et elle retrouvait le pays qu’elle avait connu 17 ans plus tôt. Je prétextais la visite du pays, mais au fond de moi, j’avais le secret espoir de reconstituer mon histoire ».

Erwan ira de surprise en surprise. « Déjà, ça fait bizarre de découvrir un pays avec des gens qui te ressemblent ; la vie est tellement différente, les gens n’ont presque rien mais ils sont souriants et heureux de t’accueillir ». Chose incroyable, sa mère retrouve un chauffeur de taxi qu’elle avait rencontré en 2001 : Sokhon. « Il connaissait mon histoire. Non seulement il s’est proposé gratuitement, mais il nous a aidés à localiser le quartier de ma naissance après deux heures de circulation. Ma mère avait emmené le courrier laissé par mon père à l’orphelinat.  Le chauffeur a retrouvé une dame qui semble pouvoir l’aider ». Erwan tient le bon bout de la pelote. « On arrive devant une maison en tôle, avec une dame devant. Ils discutent puis… on me dit : c’est ta tante, la sœur de ta mère. J’étais heureux d’avoir trouvé mon quartier, et encore plus avec un membre de ma famille ».

Les voisins s’attroupent autour de la maison, les palabres enflent, les téléphones vibrent. « Une dame arrive de loin, hésitante semblant ne pas comprendre ce qui se passe. C’est ma sœur de 15 ans mon aînée. On fond en larmes. Quelques instants plus tard, une seconde dame, ma seconde sœur. Puis deux hommes, mes deux frères dont j’ignorais également l’existence. Eux se souvenaient de moi, de la tache de naissance que je porte toujours. Il n’y avait pas de doutes ». Erwan se souvient des pleurs mêlés aux cris de joie. « Un monsieur s’avance alors que le silence venait de s’installer : mon père ! Je ne voyais plus que lui. Moi, je le croyais mort car il était très pauvre. Lui pensait que je n’avais pas survécu ». L’évocation de son récit déclenche de nouvelles larmes sur son visage lumineux.

Les incompréhensions de langage ajoutées à l’intensité de l’émotion rendent l’instant surréaliste. « Apprendre et découvrir en quelques heures l’existence de ta famille, c’est difficile à imaginer ». Un banquet est organisé sur place où Erwan apprend les pratiques locales sous l’œil amusé des siens. « On est revenus après avoir visité un peu le pays. L’émotion était en partie retombée et on avait les services d’un traducteur français ».

Erwan retournera seul au Cambodge l’année suivante. « C’est Pierre, mon meilleur ami également cambodgien qui vit aux Herbiers, qui m’a fait ce cadeau, dans la maison qu’il a là-bas. J’ai revu mon père. C’est comme si on avait vécu ensemble tout le temps. Il m’a fait rencontrer plein de gens, visiter plein d’endroits. Il a 56 ans, et vit avec une dame. Il travaille ; il a pu construire une maison. Je lui ai offert un téléphone. Comme ça je garde le contact régulièrement avec lui ». Un de ses frères a pu accéder au lycée. Son instruction lui a permis de créer une petite affaire, organisatrice de mariages, et qui emploie presque toute la famille. « Ils vont bien ; ça me rassure ». Erwan est apaisé des questionnements qui le hantaient, il y a quelques années encore. Et il se considère chanceux. « Beaucoup d’orphelins cambodgiens vont dans les usines chinoises ; j’ai eu la chance de venir en France ».

Erwan est sportif. « L’équitation, la natation, l’escrime que j’ai adorée, puis en 2012 le taekwondo. C’est mon prof de taekwondo qui m’a proposé de venir au golf taper des balles. C’est devenu assez addictif ».

Sa cible professionnelle, c’est le shiatsu, une médecine traditionnelle chinoise. « Je termine bientôt une formation qui a duré deux ans à Tours. Je dois passer mon diplôme RNCP en avril ». Son horizon le rend confiant. « J’ai de l’espoir et des projets. J’apprécie ce que je vis ici aujourd’hui. On n’est pas brimé ; il n’y a pas de guerre. Il faut relativiser et profiter. Si on vit dans la peur, on n’avance pas… ».

Il aime écouter les gens, leurs histoires, suivre des conférences TedX ou des Talks sur divers sujets différents les uns des autres.  « J’ai rencontré récemment quelqu’un qui a ouvert son salon de coiffure. Ça fait partie des exemples qui m’inspirent. Des gens proches de vous qui fondent leurs entreprises, lancent un projet, des gens qui ne cessent d’évoluer et d’avancer dans la vie. ». Il aime la photographie, la cinématographie. « Faire voyager ou susciter l’émotion à travers l’image est magnifique ».

Erwan ne veut pas avoir de regrets. « Le jour où je fermerai les yeux pour toujours, j’espère pouvoir me dire que j’ai fait ce que je voulais faire, en laissant une belle empreinte pour les générations à venir, pour qu’eux aussi puissent rêver et avancer ».