Rosa est colombienne et vit à la Tranche sur Mer depuis 5 ans, après avoir rencontré Christian -qu’elle appelle chéri-, via un site de rencontre en 2014. Son histoire est une succession d’épisodes difficiles, qui n’entament ni son sourire, ni sa dignité. « La misère et la violence dans la rue sont à l’image du désordre qui règne dans le pays ». Pourtant, elle souhaite y retourner, près des siens. « J’ai compris que le bonheur n’était pas matériel ».

Rosa appartient à une fratrie de sept enfants, le plus souvent livrés à eux-mêmes, avec un père, ancien militaire, très rarement présent, et une maman qui travaille à longueur de journée pour nourrir la famille. « La maison était faite de cartons et de sacs-poubelle, en contrebas de la montagne. La région est très sèche ». On lui a raconté sa naissance. « Maman avait mis de l’argent de côté pour pouvoir accoucher à l’hôpital. Quelques jours auparavant, mon père qui ne passait que brièvement à la maison lui a volé cet argent. Je suis donc née à la maison où il n’y avait pas d’eau, avec l’aide des voisines, d’une maman affamée et fatiguée ».

La région est sèche mais les rares orages sont redoutables. « L’un d’eux a balayé notre maison, embarquant les souvenirs et les photos de mon enfance ». Sa maman sera relogée par son patron, proche de la mafia. « En Colombie, quand tu es dans le camp des pauvres, tu ne vis pas, tu survis. La vie est si compliquée que tous les moyens sont bons pour trouver de l’argent, y compris en se mettant au service des trafiquants ».

Rosa ne garde pas pour autant le souvenir d’une enfance malheureuse. « Quand tu es enfant et que tu passes tes journées à jouer, tu ne ressens pas la nécessité de beaucoup de choses ». Pas plus que l’on imagine un monde différent. En grandissant, les souvenirs de son enfance prennent un relief particulier. « On dormait sur les cartons que je ramassais le matin. A deux reprises, j’ai trouvé des serpents en dessous, dont la morsure pouvait être fatale en quelques minutes ». Quand elle ne vivait pas quasi nue « seulement une culotte », elle faisait elle-même ses habits avec des sacs en plastique récupérés. « Je me souviens que ma sœur avait coupé le devant de mes chaussures car mes pieds étaient devenus trop grands. Le petit frère somnambule s’échappait la nuit, faute de porte complètement fermée ».

Le père Noël ne passait pas chez elle. « Un jour j’ai demandé pourquoi à ma mère. Elle m’a répondu qu’il n’avait probablement pas vu la maison ». Ses jouets sont ceux récupérés sur la plage. « Quand la mer était agitée, elle ramenait parfois des jouets délaissés ou perdus. Les lumières de Noël, c’était chez les autres. Je passais beaucoup de temps à regarder les poupées dans les magasins. A défaut de les avoir dans les mains, ça me faisait rêver ».

Sa scolarité lui laisse un goût amer. « Il y avait une heure de bus pour aller à l’école et ma mère n’avait pas toujours l’argent pour le payer ». Rosa ira par la suite chez son grand-père dont la maison est plus proche de l’école. « Moi qui n’avais jamais vu de toilettes, je ne voulais pas m’asseoir sur la cuvette. J’étais malheureuse. La nouvelle épouse de mon grand-père me maltraitait, à coups de balai ou de restes de nourriture qu’elle me réservait ». Un traitement indigne qui n’échappe pas au regard de sa petite cousine. « Le jour de sa petite communion, elle est venue me demander pardon. C’est elle qui m’a appris à lire et à écrire. J’ai appris en retard, mais j’ai eu la chance d’apprendre vite ». Rosa arrêtera ses études à la fin de la troisième, puis passera, à l’âge adulte, son bac  qu’elle décrochera aisément.

Elle est maman de trois filles, de trois hommes différents. « C’est une partie de ma vie qui n’est pas facile. Nous vivions avec ma mère dans une maison très pauvre. Mes journées de travail étaient de 13 heures pour presque rien, à peine de quoi payer les charges, mais je tenais à ce que mes filles ne manquent de rien ; je me souvenais de mon enfance à moi ». Rosa était heureuse. « Nous avions peu, mais nous étions très unies avec ma mère et mes filles ». Elle travaillait dans une très grande ferme d’huile de palme et de bananes. « Je m’occupais de la sécurité des travailleurs à travers leur équipement en chaussures et vêtements ».

La situation du pays a forcément des répercussions sur la vie des habitants eux-mêmes. « Les rues sont sales. Les habitants jettent leurs déchets par la fenêtre. Il y a aussi la violence qui fait que tu ne peux pas sortir le soir, ni même faire seule un jogging. J’ai vu deux assassinats sous mes yeux ; le premier,  j’avais 15 ans ».

Pour autant, Rosa demeure nostalgique de son pays. « Avec mon chéri, nous n’avions pas prévu rester en France, mais un problème de santé qui m’a rendue très malade m’a obligée à rester ici pour le moment ». Elle y est retournée une fois depuis son arrivée en France. « Je voulais revoir ma mère ; elle est décédée 15 jours avant ». Son rêve serait d’associer les deux pays. « Ce serait le pays le plus magnifique au monde. La France me plaît. J’aime bien la langue et le comportement des français que je trouve éduqués, soucieux de leur chez soi ». Elle répète que le bonheur n’est pas matériel pour elle. « Ce qui me rend heureuse, c’est de voir les autres heureux. Je le perçois encore plus en étant ici ». Elle rêve de tranquillité, elle qui a connu l’angoisse des fins de mois.

Elle se considère bien intégrée ici. « Je vis à la française. En Colombie, j’ai mes coutumes que je souhaite qu’on respecte. L’inverse est vrai ici aussi ; à moi de m’adapter ». Elle ne cache pas ses convictions. « Je suis très croyante, même si ici je ne pratique pas. J’admire Mère Térésa de Calcutta ». Elle n’est pas étrangère aux questions sociétales. « Les préoccupations ne sont pas les mêmes selon les pays. En Colombie il y a encore beaucoup de difficultés avec la corruption ». Elle se soucie de l’environnement. « Le retard pris ne sera pas facile à rattraper ».

Elle conclut avec un optimisme qui ne l’a jamais abandonnée. « Il faut rester positif dans toutes les circonstances, rester proche de la famille. Le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie ».