Pierre Lotte est un agriculteur probablement assez méconnu au Boupère, avec pourtant un carnet d’adresses internationales exceptionnel. Cet ancien athlète de haut niveau est un fervent de l’agriculture au naturel, champion de la transformation des produits laitiers qu’il faisait livrer dans les restaurants parisiens les plus réputés : Fauchon, Maxim’s, Lasserre… Son esprit d’ouverture et sa culture personnelle sont aussi le fruit de ses multiples voyages à travers le monde…

La famille Lotte est originaire des environs de Clermont. « Là où les hivers sont rudes. Rémouleurs pour les générations plus anciennes, commerce de tissus de luxe par la suite. La famille a migré progressivement vers Limoges. Mon père s’est marié avec la fille de mon grand-père Guilbaud qui avait acheté ces terres en 1921. Il a débuté comme berger ici au Boupère, pour arriver à une exploitation de 72 ha ».

Le jeune homme est vite repéré pour ses dispositions sportives. « La discipline qui m’a fait connaître, c’est la perche. J’ai été champion des académies de Poitiers et Bordeaux ». Il est repéré par Gilbert Prouteau, André Jacob. « Ce dernier m’a dit : tu n’as rien à faire en province, je vais te présenter à Joseph Maigrot, l’entraîneur international du Stade Français ». Le Stade rassemble, à l’époque, le gratin des athlètes français, faute d’équipe nationale empêchée en ces temps de guerre. Il ne sera pas champion de France, Maigrot l’ayant mis en garde. « Tu ne touches pas à ça… ». Il rivalise pourtant avec les meilleurs : Breitman, Sillon. Pierre Lotte sortira le plus jeune de l’ENSEP (Education Physique), pratiquera également la longueur, le 4X100 mètres…

Il décroche quelques beaux titres en sport collectif. « J’étais à l’école préparatoire de Guéthary, près de Saint Jean de Luz, club phare du rugby. On m’a sollicité un jour pour remplacer le numéro 2 blessé. Je suis monté à Paris pour la finale des championnats de France à Colombes ». Il est également champion de France militaire en handball. « Je n’avais aucun mérite comme goal. Nous avions entre autres la ligne de Villemomble qui maîtrisait, des artistes. Je n’avais qu’à regarder ».

Pierre repousse autant qu’il le peut le service militaire. « J’ai fini par rejoindre Montlhéry, dans la compagnie des agriculteurs. Comme j’avais fait des études, j’ai rejoint la 16ème compagnie en tant qu’élève officier de réserve. Et là, quand ils ont su que j’étais au Stade Français, ils m’ont demandé de prendre la direction de la Compagnie des Sports qui comptait 400 personnes ». Cela lui offre des permissions étendues. Cela lui évite aussi les sanctions encourues par ses copains de la 16ème qui avaient défilé la crosse en l’air. Lui tisse des relations avec les plus grands sportifs. « Le soir, j’allais souvent à Paris, chez Larcade, international de tennis de table ou à Saint-Ouen chez Garrigues; on jouait au bridge ».  Le retour au bocage le confronte à une autre réalité. « Les terrains de foot, c’étaient des champs de patates. La barre fixe, c’était un bout de fer qui n’avait aucune souplesse ». Par la suite, il entraînera au tennis le club du Boupère.

C’est à l’occasion d’une rencontre triangulaire Suède France Belgique qu’il est accosté. « Un suédois me propose un stage chez Jensen au Danemark, spécialisé dans la traite. C’étaient les débuts de la salle de traite en France ». Le patron d’Alfa-Laval l’invite à la ferme expérimentale située près de Stockholm. « Pendant 3 mois, nous sommes allés de ferme en ferme à la recherche des trouvailles technologiques. C’est comme ça que j’ai visité la Suède. Ça m’a donné l’occasion de monter au Cap Nord au mois d’août, là où 9 fois sur 10 le brouillard est à couper au couteau. Par chance, nous avons eu de bonnes conditions pour apprécier le jour continu, un été sans nuit, la où la patate frôle l’horizon sans se coucher. On voyait les rennes dans leur environnement naturel ».

Il reprend les fermes familiales. « J’ai cherché à faire de la valeur ajoutée en transformant la production laitière en beurre, fromage, yaourt. J’avais déjà un carnet d’adresses conséquent grâce au sport. Je suis entré dans les plus grands restaurants parisiens par le haut de gamme. Je faisais livrer du lait à l’Elysée à l’époque de Pompidou ». Lors de ses études, il a côtoyé Jean-Pierre Brossolette, conseiller fiscal de l’Elysée, Georges André, chef de cabinet de Méhaignerie. La toile se tisse. Il connaît Jacques Maillot président de Nouvelles Frontières qui lui fait part des bons coups pour voyager. « Les choses les plus marquantes, ce ne sont pas forcément les paysages. Je préfère la personne dans le paysage ». Autant d’occasions d’enrichir ses relations. Comme ces grands reporters qu’il n’hésite pas à approcher, au point de lier des relations durables. « J’ai reçu à la maison un grand reporter belge qui avait traversé la Chine et ramené des photos extraordinaires. J’ai fait aussi des expéditions de quelques heures avec un reporter américain pour observer le pygargue ».

Pierre n’hésite pas à sortir de sa ferme du Boupère. « Je suivais les activités de l’Association Française pour la recherche sur l’alimentation normale, présidée par Serge Jouanon, professeur médecin et maître de conférences à la Sorbonne ». Déjà le père de Pierre le sensibilisait à une agriculture améliorée par l’électro culture. « Des capteurs d’électricité statique permettaient aux plantes de se développer sans produits chimiques ». Ça le conduit à faire connaissance avec les responsables de Nature et Progrès. « J’y suis rentré comme administrateur national pendant 15 ans. Au niveau régional, j’avais la responsabilité de 25 départements ». Ses journées sont remplies, le déjeuner du midi n’est pas systématique, les nuits sont courtes.

Il revient sur quelques-unes de ses multiples rencontres. « J’ai rencontré Jean Gabin qui venait de faire installer une salle de traite, dans sa propriété de la Pichonnière dans l’Orne. Il ne souriait pas, un peu froid, mais ce n’est pas l’individu désagréable qu’on soupçonne. Pendant l’heure et demie où il m’a reçu, j’ai apprécié sa sensibilité. J’ai aussi aperçu Bourvil, à l’occasion du tournage de la ‘ferme du pendu’ ».

Veuf depuis 7 ans, père de deux enfants, Pierre ne s’arrête pas à son âge. « Je n’y pense pas. Il faut juste faire attention à son rythme de vie, à ce qu’on mange ». Il porte un regard sévère sur notre époque. « J’ai l’impression qu’on vit la fin de la Rome antique, la fin d’un empire ». Il dit se cultiver par l’observation, lui qui est fâché avec la télé. « Ce n’est qu’une culture de l’argent ». Ce qui l’a rendu heureux ? « La croissance naturelle des plantes qui maintient l’homme en bonne santé ».

Son carnet d’adresses s’étiole au fil des ans. « Ils n’atteignent pas tous mon âge ». Il n’y a pas si longtemps, il a encore reçu un appel de Saint-Pétersbourg, lui demandant des coordonnées d’anciennes connaissances, comme cette dame qu’il avait rencontrée et qui l’avait emmené découvrir le Lac des Cygnes donné par le Bolchoï à Moscou.

Il conclut ainsi : « J’ai envie de provoquer les gens en leur disant : Ayez donc cette envie de vivre heureux. La vie il faut en faire une comédie, pas une tragédie ».