Il suffit de lire le CV d’Eric Lelièvre (*) pour comprendre que cet homme-là est riche d’une expérience étoffée, de la petite à la grosse entreprise (il a compté jusqu’à 1500 collaborateurs). Tout aussi intéressant est son regard sur la société et la vie politique, que ce soit par le prisme de son expérience professionnelle ou les lectures de ce passionné de géopolitique. En outre, cet adepte des sports de glisse, soigne avec goût la belle bâtisse familiale aux Herbiers : le manoir du Bignon.

De son premier poste chez Havas Atlantique Publicité en 1988 à la création d’Adaction (*) en 2012, le parcours d’Eric Lelièvre a comme fil conducteur le marketing, le commerce et l’optimisation des résultats. « J’ai pris des responsabilités dans différents groupes, notamment chez Regicom, l’entreprise mère du groupe Spir Communication que j’ai quitté à l’âge de 45 ans pour me lancer dans l’aventure entrepreneuriale ». Le Poker Texas Hold’em est en pleine vogue aux Etats Unis. « Mon ami Laurent Bonnin a eu le nez fin en proposant d’emmener ce concept en Europe à l’époque où Bruel et Balbir animait le World Poker Tour sur Canal +. Laurent m’a décrit le phénomène ; de mon côté j’avais la maitrise de la vie d’une entreprise ». Direction la Chine pour faire du sourcing dans les industries de plasturgie. « Les premiers containers sont arrivés deux mois plus tard, le temps de développer le site e-commerce. Une aventure assez marrante mêlée au plaisir de la création ».

Depuis bientôt 10 ans, Eric Lelièvre a créé son entreprise de conseil, ADACTION (Analyse/Décision/Action). « Gérer les entreprises, c’est vraiment ma vie. Je rentre dans une entreprise comme dans un jeu de société, en essayant de comprendre les règles du jeu, son marché. Les dirigeants qui ont le nez dans le guidon ne sont pas toujours les mieux placés pour ça. Mon regard extérieur me permet de faire un diagnostic, puis des propositions. Je fais beaucoup autour de la stratégie et du numérique ».

Les grandes histoires de conquêtes des années 80 qui suffisaient à motiver les salariés, c’est révolu. « Dans un marché concurrentiel, les entreprises ne peuvent s’exonérer de performance. Pour donner du sens aux dirigeants, aux salariés, il faut développer de nouvelles passerelles sociétales autour de la solidarité, de l’environnement, l’équilibre avec la vie familiale. Il est indispensable que les gens soient heureux de venir bosser ». Eric Lelièvre défend l’idée d’un juste partage des résultats de l’entreprise. « 1/3 pour l’investissement, 1/3 pour les associés ou actionnaires, 1/3 pour les salariés. Par nature très curieux de beaucoup de choses, il garde un esprit cartésien. « J’ai appris énormément autour de l’acronyme LEON : Lire, Ecouter, Observer, Noter. Je l’applique dans beaucoup de situations et pour de nombreux sujets ».

Il aborde son métier avec une forme de modestie qu’il aimerait voir chez les dirigeants politiques. « Les gens qui assènent sans arrêt des vérités et qui sont contredits soit par eux-mêmes, soit par l’histoire, ne peuvent plus être crédibles. Ce qui fait illusion le temps d’une campagne présidentielle retombe aussi vite. Les cartes sont battues ailleurs. Les politiciens ont de moins en moins de pouvoir alors qu’ils nous feraient croire le contraire. Pourquoi ne pas avoir tout simplement l’humilité de décrire les faits tel qu’ils sont ? Les français apprécieraient ». L’aventure politique l’a-t-elle intéressé ? « Courtiser et séduire, je n’aime pas. En entreprise, j’ai le retour dès lors que la mayonnaise prend avec les équipes. Je préfère ce plaisir-là ». Il constate l’érosion de toutes formes d’autorité, ainsi que les valeurs qui prévalaient il y a encore quelques années. « La seule bouée qui reste, c’est la cellule familiale ».

Sans être nihiliste, Eric Lelièvre garde un optimisme mesuré sur l’évolution du monde. « Il y a quelques mois on nous prédisait un monde nouveau et aujourd’hui les usines à charbon sont reparties à bloc. Epuiser les ressources annuelles de la planète au mois de juillet n’est plus possible. Une forme de décroissance me semble compatible avec le progrès ». L’expérience Covid a livré quelques enseignements. « Si on nous avait donné comme scénario il y a deux ans, celui d’un monde sans restaurant, sans cinéma, sans avion avec des possibilités de déplacements restreintes, on aurait tous dit : impossible ! et pourtant nous l’avons vécu. La plasticité du cerveau humain révèle de réelles facultés d’adaptation. Changer les paradigmes n’est pas simple. Les leviers sont tenus par le monde économique et financier. Les politiques ont peu d’influence, à part quelques artifices gadgets comme la voiture électrique. Les peuples sont toujours en avance sur les politiques. J’espère qu’ils vont rapidement construire de nouveaux horizons. »

Il garde pourtant sa confiance dans l’homme. « En pariant sur sa capacité à raisonner, et non pas en l’infantilisant. Deux mots forts me tiennent à cœur : la liberté et la responsabilité. C’est quand même beaucoup plus riche quand on amène les gens à devenir plus responsables. Dès l’école. Là où je trouve les gens vraiment épanouis, c’est quand ils font des choses qu’ils ne se croyaient pas capables de faire. C’est cette veine-là que j’apprécie aller chercher. L’estime de soi, il n’y a pas meilleur moteur. Ce n’est pas avec 11 000 lois et 400 000 normes en France qu’on va faire grandir les gens ».

Pour autant, il déplore le repli sur soi ou l’étroitesse d’analyse. « J’aimerais être avec Pesquet pour voir la terre sans ses frontières. On est à touche-touche, avec des problématiques similaires à résoudre. 3000 morts au Rwanda déstabilisent moins qu’un mort à 5kms de chez soi. Ça m’a toujours questionné. Les Français sont quand même assez repliés sur eux. On n’arrive pas à trouver ensemble le souffle sociétal qui pourrait inverser la vapeur ».

Celui dont le cerveau est en ébullition permanente court vers l’océan dès qu’il y a un coup de vent. « Je me vide complètement l’esprit en faisant du kitesurf ou du windsurf ». Eric Lelièvre réside à Nantes et revient souvent aux Herbiers, dans le manoir du Bignon où réside sa famille. « Cet endroit a une forme de sobriété que j’aime beaucoup. Un témoin du temps passé qui remonte au XVème dans lequel on devine la vie d’une petite seigneurerie avec ses différents métiers. Je donnerais beaucoup pour vivre une journée par siècle depuis sa construction. Jusqu’à ce que la révolution fasse exploser le système, les gens devaient considérer que la vie serait pour l’éternité celle qu’ils connaissaient ». Un si bel endroit a aussi ses contraintes. « Je fais une tranche de travaux tous les ans, mais pour moi ça fait sens, nous ne sommes que des passagers et puis j’ai la chance d’être marié à une herbretaise. On revient souvent avec plaisir ici ».

(*) Adaction.fr