Herbretais d’origine, Jacques Sennechael vit au Québec depuis 28 ans. Rédacteur en chef d’un magazine consacré au vélo, il est aussi globe-trotter, avec un faible pour l’Asie. De ses voyages, il aime ramener des impressions, des émotions, par l’écriture ou la photo. Son accent québécois apporte la petite note exotique pour celui qui observe les évolutions de sa ville avec une vraie tendresse.

Ado, il accompagnait son oncle, curé et journaliste pour Ouest-France, aux Sables d’Olonne. « Il m’emmenait en reportage. Je faisais des photos avec un Lubitel 6X6 et un flash à ampoules. Je développais la pellicule à la rédaction. Je ne me suis plus posé de questions ; c’était le métier que je voulais faire ». Aux Herbiers il propose ses services à Presse-Océan pour faire quelques piges. « Quatre centimes la ligne ! ». Les radios libres sont en plein essor. « Je faisais une émission autour de la poésie sur Alouette. Je n’étais pas très bon, mais j’adorais. Je me souviens aussi d’une émission ‘le club du bizarre’ où nous invitions des gens étranges, originaux. Notre habitude était de boire un bon coup avant, pour avoir la langue plus agile. Un de nos invités qui avait fait le Tour de France en 1905 ou 1906 s’était endormi pendant le direct… ». Sa participation à une autre radio musicale lui vaudra un carton rouge.

Il fera l’école du journalisme à Bordeaux, multipliera les stages : TV, radio, presse écrite. « Mon premier poste c’était en Corse pour FR3, à l’époque où le FLNC était très actif. Nous allions aux conférences de presse cagoulés, dans des grottes. Je trouvais ça difficile. J’y suis resté quelques mois ». Dijon, l’Ile d’Oléron, puis Paris dans la presse municipale. « Il faut aller dans le sens du vent qui souffle à la mairie, avec des textes révisés par les élus. L’éthique ne me convenait plus ».

Un mois de vacances au Québec, puis une année sabbatique dans cette même contrée le séduisent. « J’ai fait un stage au Saguenay où il y a un magnifique fjord. Il n’y a pas de meilleur métier au monde que celui de journaliste pour apprendre à connaître un pays ». Les forêts et les rivières l’emportent sur la tour à 18 étages de Bobigny. « C’était le grand saut dans le vide. Avec ma compagne, nous nous y sommes établis en 1994 ».

Jacques commence par des piges. « Je préférais me spécialiser plutôt que faire de l’info générale ». Les premiers contacts sont chaleureux. « T’as l’impression que tout le monde t’aime avec le tutoiement mais faut pas être dupe. Il y a des promesses qui tombent vite aux oubliettes ». Les prises de contacts sont plus simples qu’en France. « Le rapport hiérarchique n’est pas le même ».  Il participe à une réunion de lancement d’un magazine ‘Plein Air’. « Je me suis promené partout au Québec, en canot, en kayak, en ski de fond ».  Il part faire un reportage aux Monts Groulx sur 10 jours en autonomie, par -25°, avec des gens expérimentés. « C’était génial ». Il assure aussi la livraison du magazine dans les différents points de distribution sur tout le Québec. Quelques années plus tard, il postule chez Vélo Mag où il est toujours. « Une revue consacrée au vélo qui existe depuis les années 80 et qui tire à 19 000 exemplaires. S’il y a une province où le vélo est roi, c’est bien au Québec ».

Lui qui a toujours eu le fil conducteur du voyage trouve avec cette revue l’opportunité de parcourir le monde. « Couvrir des courses, tester des vélos, raconter des voyages… Le vélo est le plus bel outil pour voyager. On n’est pas menaçant et toujours bien accueilli ». Le virus gagne la famille, y compris sa fille Philomène. « Certaines vacances en France se sont passées à vélo, avec un semi vélo pour ma fille lorsqu’elle avait 6 ou 7 ans, accroché au mien. On remontait d’Agen, passait par la Rochelle pour venir aux Herbiers. Philomène avait la charge du ravitaillement en eau et présentait les gourdes à remplir dans les bars. Ça s’est toujours bien passé ».

Philomène avait 11 ans lors d’une expédition d’un mois et demi au Laos. « On suivait l’ancienne route de terre qui longe le Mékong. L’année de mes 50 ans, nous sommes partis 3 mois en Indonésie, Vietnam, Thaïlande. Fantastique. J’ai toujours cette image d’un échange de regard entre ma fille face au cornac à dos d’éléphant. Lequel des deux était le plus surpris ? » La Birmanie le fascine aussi. « D’une façon générale, en Asie, les montres tournent moins vite que chez nous. En Birmanie, il n’y a même pas de montres ! On est au 19e ». Autre pays marquant, en Afrique cette fois-ci, l’Ethiopie. « Un des rares pays africains à n’avoir pas été colonisé. Ils ont creusé et sculpté leurs églises dans le sol quand tout le monde les érige. On se demande ce qui pousse à cet esprit créatif ? ».

En près de 30 ans, sa ville des Herbiers a bien changé. « Tous les commerçants de la rue de l’église ont disparu. Par contre la ville s’est embellie. Je suis toujours émerveillé de monter aux Alouettes par le sentier. En 5 kms tu as les chemins creux, les prés, les bords de pierre, les écureuils. Et puis là-haut la chapelle, l’histoire ». Lui qui était plutôt fonceur dans ses jeunes années se souvient des difficultés à convaincre les élus locaux pour organiser des concerts, faire bouger les choses. « J’ai toujours trouvé une forme de conservatisme ici, mais aussi une réelle ouverture. On n’est pas aux Herbiers dans une forme de racisme version sud de la France. La religion a joué un rôle latent pour l’accueil du prochain. J’espère que cet esprit perdure ».

Cet ancien de Jean XXIII avait deux oncles curés. « Le prêtre journaliste avait un esprit critique qui tranchait parfois avec les influences locales. C’est un peu mon mentor. L’autre est décédé à 50 ans d’une crise cardiaque. Il avait monté une asso pour aider les toxicos quand la direction de l’établissement misait plutôt sur la répression vis-à-vis des élèves. Pourquoi faire mourir si jeune quelqu’un aussi utile à la société ? ». La maman de Jacques vit toujours aux Herbiers. « Ce que je trouve difficile, c’est de voir la famille vieillir ».

Il n’envisage pas revenir aux Herbiers pour s’y établir. « Nous habitons à Terrebonne, à 40 minutes de Montréal, avec devant chez nous une rivière aussi large que la Loire. J’y ai mon canot, mon kayak pour aller pêcher ». L’épuisette à attraper les histoires n’est jamais très loin pour ce journaliste bientôt à la retraite. « J’aimerais trouver l’idée géniale qui me permette de ne jamais m’arrêter. Quitte à réduire mes pas ». Ou à enfourcher le vélo qui ne sera jamais très loin non plus.