Bernard travaille aujourd’hui à Fontenay le Comte, dans le social, après avoir fait carrière dans la Légion étrangère. Un parcours enrichissant pour cet enfant de Dunkerque dont la jeunesse s’est avérée difficile. Peu entouré, il s’est construit lui-même. Longtemps illettré, il a parfois survécu en faisant les poubelles. Il aurait pu sombrer. L’engagement militaire, bien qu’il n’ait pas toujours été linéaire, lui a permis de s’en sortir avec de belles satisfactions dont il est fier. « Merci la légion » dit-il aujourd’hui.

Très tôt, Bernard a développé des qualités pour le bricolage. « Il fallait bien se débrouiller à la maison. Ma mère était seule avec mes frères et sœurs ; j’étais le soutien de famille ». L’école, ce n’était pas son truc. « Après la 5ème, j’ai fait un CAP à St Pol sur mer, puis un BEP technicien de toiture à Tourcoing. J’avais toujours de gros problèmes à lire, ce qui m’a valu des moqueries. J’ai surmonté en m’efforçant à lire le journal. Ce n’est qu’à 19 ou 20 ans que j’ai maitrisé. Ce que je trouvais le plus facile à lire, c’était la Bible. C’est curieux ». Il devance l’appel, se retrouve dans un sous-marin nucléaire près de Brest. « Je passais une partie de mon temps sur la base, à l’entretien. Je me souviens entre autres que nous sommes partis une dizaine de volontaires pendant 20 jours, avec un chef, marcher sur les traces des croisades, à la découverte des églises et du patrimoine. Moi qui, enfant, pouvais passer des journées entières au musée de Dunkerque, j’étais à mon affaire ».

Avec le vieux vélo rafistolé par ses soins, Bernard peut aller travailler après son armée. « J’ai trouvé un patron. Un jour j’ai voulu couvrir un collègue qui avait fait le con et ça m’a coûté ma place. Quand le patron est venu me dire qu’il me virerait après le chantier, je lui ai répondu : je pars tout de suite. J’avais le sang chaud à l’époque. Je faisais de la boxe anglaise ; cela m’aidait à me canaliser ». S’en suit une période de galères. « Ça partait en cacahouètes, entre la picole, les jeux d’argent… Je venais de recevoir un pécule des ASSEDIC. Je suis allé au casino en me disant : si je gagne, je reste dans le civil, sinon, je m’engage dans la Légion. J’avais quelques casseroles sur mon dossier militaire ; la Légion était le seul corps où je pouvais être pris. Je n’ai prévenu personne de ma famille et je suis parti avec seulement ma carte d’identité et ma carte bancaire ; je voulais tout recommencer à zéro. Dans la Légion étrangère, tu t’engages sous un nom d’emprunt. C’était pour moi l’occasion de faire table rase de mon passé ». Après une instruction qu’il a fallu recommencer suite à une entorse, Bernard part à Djibouti pour 1 an. « Là-bas, j’ai rattrapé toutes les fêtes que je n’avais pu faire avant ».

Ce n’est qu’au terme de ce séjour qu’il se décide à reprendre contact avec sa famille. « C’est un peu comme si j‘avais rompu mon anonymat ». Il est affecté à Castelnaudary, compagnie de génie et part au plateau d’Albion, passe un diplôme de sapeur dans le génie. « J’ai repris mon nom officiel et fait régulariser mon carnet militaire. Je suis devenu caporal. Deux semaines avant de partir en Afghanistan, j’ai eu un accident de vélo. J’ai mesuré à quel point la vie peut basculer rapidement. Dépression, embrouilles avec les chefs, psychiatrie… je sombrais à nouveau, à la limite d’être réformé, jusqu’au jour où je m’engage sur un semi-marathon. Comme seule préparation j’ai fait des steps en salle de sport, du vélo et du sauna pour la respiration. Je l’ai terminé en 1h30, montrant à mes chefs un autre visage et j’ai ainsi regagné mon aptitude à poursuivre dans l’armée ».

Affecté au casernement à Aubagne, il rejoindra le service général. « Ma carrière a repris un peu d’élan. Je suis parti en Côte d’Ivoire où les forces françaises étaient déployées. 36 jours sur un bateau, avec pour seule escale le Ghana et le Togo, l’occasion de se lâcher un peu. Ensuite, j’ai fait deux ans en Guyane. Je surveillais les punis, ceux qui avaient fait des conneries et qui allaient au trou. J’étais ferme et bienveillant. Je les comprenais. En 2005, je vais sur une mission en Centrafrique pour cinq mois. C’est là que j’ai réalisé un de mes rêves en construisant un dispensaire en six semaines, avec des gens du pays. Dès mon recrutement dans la Légion, j’avais dit que ma motivation était de transmettre ce que je connaissais. Je suis fier d’avoir réalisé ce dispensaire avec deux fois rien, dans le cadre de cette action civilo-militaire ; un super moyen pour apprendre à connaître les gens, leurs coutumes. Je mangeais avec eux ».

La Légion est présente près de Puyloubier, où elle reçoit ses pensionnaires âgés ou invalides. « J’étais un blasé des jeunes en Guyane. Je voulais servir les anciens, nos pères. J’en ai enterré plus de cinquante en 7 ans. Ça m’a pesé ». Bernard fait une tournante à Mayotte, pensant y rester 2 ans. « Ça ne l’a pas fait. C’était aussi le moment de penser à ma reconversion civile. J’ai bénéficié d’une formation au CMFP de Fontenay-le-Comte ». Il quitte l’armée en 2019, trouve un emploi et œuvre désormais dans le social.

Établi à la campagne, il souffle après avoir vécu à Marseille. « Un appartement de 55 mètres carrés. J’apprécie ce cadre de vie où je vis avec ma femme et 3 enfants. J’ai aussi une fille plus grande, sur Marseille ». L’occasion de porter un regard sur ce parcours de vie pas si commun. « Quand je vois mes débuts dans la vie, aujourd’hui je suis satisfait de m’en être sorti comme ça. Je continue à rendre service à des demandeurs d’asile, des réfugiés. Il y a des situations que je ne supporte pas. Quand il y a un problème dans une famille, je ne regarde pas les heures. Je pars quand la solution est trouvée ».

Ses expériences à l’étranger ont conforté ses convictions. « Moi qui ai connu les poubelles, j’ai observé des choses similaires en Afrique. A la maison, on mixait les restes du midi pour la soupe du soir. Je ne supporte pas le gaspillage. En France on a tout sans être forcément heureux. Eux, ils n’ont rien, et ils ont la joie de vivre. Ce qui est primordial, c’est quand même la santé ».