« Ma vie est un sketch » comme il aime à le répéter derrière son zing, passant machinalement le torchon sur le comptoir, le regard un peu hagard, le verbe haut. « Je suis scorpion et tête de con ». L’approche peut surprendre. Ses clients ont la banane ; ils aiment leur Jean-Mi et son côté râleur qui voile à peine un cœur gros comme ça. Son troquet est une institution. Des célébrités y ont posé leur popotin. Le troquet est resté dans son jus. Ici, les discussions de comptoir ont une saveur un peu plus épicée.

Le groupe Ni Vu Ni Connu a laissé ces paroles, affichées sur le mur. « Jean-Mi, tu passes ta vie à essuyer ton comptoir, à essuyer nos vies. Sur ta trogne on peut voir les traces de nos déboires… ». Un couplet suffit à comprendre. Dans ce repaire, on parle à cœur ouvert. Vingt-cinq ans que Jean-Michel You est ici, et à 67 ans, il ne semble pas décidé à s’arrêter. « J’ai pas envie de lâcher ; encore quelques années ».

Sa carrière il l’a passée derrière les comptoirs, ou presque. « Je commence à la plonge dans un restau à St Jean de Monts en 1971, puis au service en salle. Herbretais de souche, je me fais embaucher aux Tonnelles, chez Liaigre où je reste 13 ans. Je me suis titillé avec mon ex-patronne. J’ai cherché un truc, et j’ai vu qu’il y avait un coup à jouer du côté de la gare, laissée à l’abandon. Elle commençait à être fréquentée par les touristes du train à vapeur. J’ai bataillé pour ouvrir. Avec une licence 0 ! ». Les souvenirs de ceux qui ont fréquenté l’établissement sont nombreux. « Avec de Palmas ou les Little Rabbits, j’ai accueilli de nombreux groupes. Je faisais un concert tous les 15 jours. Une soirée, nous avons écoulé jusqu’à 26 fûts avec mon copain Filoche. Il devait y avoir 400 personnes. Ça marchait du feu de Dieu ». Une vie assez rock’n roll en somme pour ce fan de Bruce Springsteen. « La gendarmerie venait m’embêter régulièrement. Jamais pour des histoires de bagarre. Toujours pour dépassements d’horaires. J’ai frôlé la fermeture administrative. Du coup, j’ai vendu ».

Le bar tabac épicerie de Saint Prouant était en vente. « J’ai ouvert en 1996 après avoir pris une année sabbatique. L’épicerie, je l’ai fermée assez vite ». Sa vie, c’est le troquet, théâtre de mille histoires. « Ma vie perso a été mouvementée, notamment ici ou je vivais avec une femme qui avait quatre enfants. Elle est restée huit ans. Les jeunes l’ont virée. Des histoires, j’en connais un tas. D’ailleurs je pourrais écrire un bouquin avec comme titre : « 50 ans de bar, et tout ce que vous ne savez pas ». Des cocus, j’en connais pas mal… ». Un chapitre serait consacré aux visages connus, venus en curieux dans ce lieu kitch. « Pierre Barouh aimait venir ici avec ses copains, Higelin entre autres. Philippe Katerine s’arrête ici, comme Clément Lanoue ou Yannick Jaulin ». Le café a servi de décor pour le tournage du film « l’Elan » d’Etienne Labroue, l’ex-réalisateur des sketchs des Guignols ou de Groland. « Mon bar pittoresque lui plaisait. Ils sont restés quatre jours avec François Morel, Bernard Montiel et compagnie. J’avais prévenu mes clients mais personne voulait me croire. Quand il a fallu fermer la route, arrêter les cloches, là, les gens ont compris. C’était en 2014. J’avais fait appel à mes copains pour figurer : Vincendeau, Roulleau, Belaud…., que des noms en ‘eau’… ».

Pour mieux cerner le personnage, il suffit d’observer, s’amuser de ses additions approximatives, la monnaie rendue en jeux à gratter, une gouaille qui peut déconcerter le client de passage, jamais l’habitué, qui sait que derrière l’apparence il y a un cœur tendre. Les bambins l’ont compris, faisant le détour à la sortie de l’école pour chiner un bonbon que Jean-Mi offrira avec un large sourire. Il faut aller chercher loin pour faire parler ce rocker émotif. « Mon plus beau souvenir c’est un 13 mai, le jour où j’ai rencontré Catherine chez une amie, à l’occasion d’une soirée où je traînais un peu la patte pour y aller…ça fait 14 ans qu’on est ensemble ». La disparition rapprochée de ses parents a été douloureuse. Jean-Mi n’est pas du genre à s’étaler. Si ce n’est pour raconter des brèves de comptoir, des histoires de vie qui font écho dans l’antre de son auberge, un peu vintage, si chaleureuse. La vie de Jean-Michel est bien plus qu’un sketch. C’est un roman !