C’est un gaillard discret qui, depuis 6 ans, travaille pour l’Institut Polaire Français ‘Paul-Emile Victor’ (IPEV), en Antarctique. L’extrême l’attire depuis longtemps, histoire de mettre un peu d’adrénaline dans son existence. Cette voie n’était pas tracée jusqu’à ce qu’un copain lui dise que l’IPEV recherchait des techniciens. « Au départ c’est un truc que tu regardes comme une recherche banale sur le net, sans vraiment y croire ». Six ans plus tard, sa motivation est intacte. Rémi n’aime pas déballer sa vie, pourtant peu ordinaire.

Il démarre sa vie professionnelle dans une boite du coin, où son directeur lui reproche un anglais approximatif. Ni une, ni deux il prend la direction de la Nouvelle Zélande. « Je travaillais et je voyageais. Idéal pour l’anglais. J’y suis resté 15 mois. J’ai parfois galéré mais j’ai appris ». À quinze jours de la fin de son visa, l’idée soufflée par le copain ne s’est pas volatilisée. Il voit sur le site de l’IPEV une annonce pour l’hivernage sur la station Concordia. Il met son CV à jour, dépose sa candidature avec lettre de motivation à l’appui. Trois jours après, on lui propose un entretien alors qu’il est toujours en Nouvelle Zélande. Il vend son van en urgence, prend un billet d’avion pour Paris où il arrive la veille de l’entretien. « Mon profil plaisait. J’ai fait les tests médicaux. Mi-juillet 2014 j’apprenais que je partais en Antarctique ».

L’aventure commence pour Rémi. « En décembre 2014 je suis arrivé sur la station franco-italienne Concordia. J’ai fait mon hivernage sur la période 2015. J’y suis resté pendant un an. Je suis descendu à Dumont d’Urville, l’autre station française qui se situe en Terre Adélie début 2016. J’ai retrouvé la civilisation en Australie fin janvier 2016. J’ai pris deux mois de vacances en Nouvelle-Zélande. J’étais parti de France depuis 16 ou 17 mois ». Dans la station cohabitent quatre nationalités, avec des différences culturelles. « Cela provoque des conflits de temps en temps, mais la clé est de savoir les désamorcer ».

Les stations comptent beaucoup de domaines sur la recherche : « La chimie de l’atmosphère, l’étude sur la glaciologie, la partie magnétisme sismique, l’observation des astres, l’étude du corps humain en milieu isolé.  C’est assez éprouvant et nous sommes suivis par un docteur sur place. A la station Concordia, il y a trois mois de soleil suivis de trois mois de nuit. Le corps humain est déréglé, avec l’isolement et le froid ». L’été il fait entre -25°C et -50°C sur Concordia, et l’hiver ça oscille entre -50°C et -80°C. Il y a peu de vent. C’est très froid mais c’est sec. Contrairement à l’autre station française de Dumont D’Urville où le blizzard peut souffler à près de 200 kms/heure, les températures sont un peu plus clémentes. L’été il fait entre 0°C et -5°C, l’hiver de -30°C à -35°C. « Avec trois mois sans soleil, l’horloge interne est un peu déréglée, le sommeil perturbé. Ce qui me tient c’est le travail. Et le réveil qui nous oblige à nous lever. Il y a des jours où tu es dans le jus, mais il faut s’y tenir ».

Les journées sont rythmées par le boulot. « On bosse énormément ce qui nous laisse peu de temps pour les loisirs. Mais on échange beaucoup. L’été, il nous arrive de sortir le filet de volley, de faire du badminton ou d’accrocher le panier de basket à la chargeuse, mais c’est compliqué ; le ballon peut casser avec le froid !». Quelques fêtes viennent égayer l’ordinaire. « On fait le mid winter le 21 juin où durant 2 ou 3 jours, on se contente de faire ce qui est indispensable pour le bon fonctionnement de la station. Il m’arrive aussi de me distraire en bricolant. Je fais des bijoux pour ma copine. Pour les fêtes déguisées comme pour le bricolage, on fait avec rien. C’est incroyable comment ça développe la créativité ». L’observation des étoiles et de la Voie Lactée est un régal, loin de la pollution lumineuse.

Outre les examens médicaux, la préparation aux expéditions comprend aussi des stages de communication, comme celui effectué au Centre des Astronautes Européens à Cologne avec l’italienne Samantha Cristoforetti qui a fait plusieurs missions sur l’ISS ou encore Cyrille Fournier qui a expérimenté avec les Russes le projet Mars 500. « Pendant l’hiver, on a eu des échanges visio avec l’International Space Station (ISS). Samantha nous a montré la Cupola, une superbe image que je conserve en tête. On a échangé sur nos conditions d’isolement. Il fallait réinitialiser la connexion sans arrêt, et comme on passait par Houston pour la liaison, on a pu reprendre la fameuse phrase : « Houston, we have a problem » (référence à la mission Appolo de 1973). Ça nous a fait marrer, au cœur de l’hiver. Les échanges avec l’ISS ont toujours lieu. Thomas Pesquet est intervenu sur les derniers hivernages, mais je n’y étais pas ».

Désormais, Rémi fait les campagnes d’été. « C’est la période des chantiers pour les manips scientifiques. Je coache une équipe, prépare les passations pour l’équipe qui va arriver. Je seconde le permanent de l’IPEV qui gère l’électricité ; il me laisse la main sur Concordia ». Rémi ne sait pas combien de temps il fera ce job. « Je raisonne à l’année ». Il passe une partie de son année aux bureaux de l’IPEV, sur Brest. « C’est hyper intéressant puisqu’on suit tout le processus, depuis le dimensionnement des projets et les commandes, jusqu’au transport et la mise en place de l’installation. On fait tout de  A à Z ; on est touche à tout ».

L’éloignement ne l’effraie pas, même s’il en mesure les contraintes. « Je me souviens d’une question lors des tests à l’Agence Spatiale qui nous demandait si nous voulions être prévenus dans le cas d’une mauvaise nouvelle dans la famille, sachant que l’été, tu peux espérer rentrer en 2 ou 3 semaines, mais l’hiver, il ne faut même pas y penser. C’est quelque chose sur lequel tu peux te mettre d’accord avec tes proches avant le départ ».

La question du changement climatique lui est régulièrement posée. « C’est délicat et je laisse cette question aux scientifiques. J’ai constaté qu’à Dumont D’Urville, il y a désormais un peu de pluie, ce qui ne s’était encore jamais produit ». Et le tourisme naissant dans la péninsule antarctique ? « Les instances veillent à la régulation. Le COVID a freiné ce tourisme qui se développait de façon exponentielle ».

« Quand on franchit la barre Australie Antarctique, on passe dans un monde différent. Les codes de la vie changent. On décroche de nos conditions habituelles pour vivre le moment présent, avec des collègues qui deviennent très vite des amis proches. J’ai totalement confiance en eux ». Même chose sur le plan familial. « C’est une chance d’avoir une famille où ça se passe bien. L’éloignement avec ma copine n’est pas neutre et suppose aussi une totale confiance ».

Récemment, Rémi a vu un post. « L’agence spatiale européenne recherche un astronaute. Bon, le profil est chiadé. J’aurais peut-être dû oser ? Après tout, c’est comme ça que j’ai procédé auprès de l’Institut Polaire ? ».