Son nom est associé à celui de la grande distribution. Durant 13 ans, il a présidé le groupement coopératif du Système U. Grâce à la pertinence de sa vision. « C’est peut-être ma valeur ajoutée, moi qui n’ai pas de cursus scolaire ! ». Cet autodidacte natif de Saint Gilles Croix de Vie a le flair et une énergie qui n’a pas échappé à Jean-Claude Jaunait, l’ancien président. Serge alimente sa réflexion de ses nombreuses lectures. « Un socle compensatoire à ce que je n’ai pas appris à l’école ». Proust, Camus, René Char… « Dévorer des livres était une nécessité ».

Cet habitué de Brétignolles préfère la mer agitée à une mer trop calme. « J’ai été à une époque un peu rebelle à toute forme d’autorité. C’était ma façon de m’exprimer ». Ses parents, épiciers, étaient affairés à leur magasin. « J’allais de droite à gauche, chez mes grands-parents, en colonie. Je suis rentré en sixième en pension à St Jo de Fontenay le Comte. Ce n’était pas mon choix. Je me suis rebellé ». Un univers traumatisant pour les ‘petits sixièmes’ mais qui soude des amitiés. « On se revoit plusieurs fois par an avec les copains de l’époque ». En fin de troisième, il tente un BEP comptable. « Les comptables ils comptent en centimes, moi je comptais en…viron ! J’ai décroché le BEP en candidat libre, au rattrapage ». Quelques boulots saisonniers dans les campings de la côte et un premier contrat à l’Intermarché de Fontenay. « Si je n’avais pas suivi la voie qui a été la mienne, je crois que j’aurais été syndicaliste ».

Il effectue son service militaire en Nouvelle Calédonie, revient un peu assagi après cette belle expérience. « Les relations avec mon père allaient mieux. C’est lui qui me fait rencontrer Jean-Claude Jaunait. A l’issue d’un stage à la Chambre de Commerce, il m’avait choisi pour simuler un entretien d’embauche, avant de me glisser à l’oreille : considère que pour toi c’était ton entretien ». Une confiance qui l’affole un peu. « Mais je vais faire quoi ? ». « Il y a plein de boulot » lui répond Jaunais. Serge débute comme collaborateur à la centrale pour accompagner les épiciers qui voulaient prendre le train de la distribution qui se mettait en marche. « C’était le plein boom des ouvertures des surfaces à 400 mètres carrés. On était accueilli comme le Messie à l’époque ». Promotion des ventes, merchandising, communication, le nouveau commerçant est à son affaire avant de prendre une affaire à lui, toujours à Fontenay le Comte. « C’est le modèle qui veut que pour être administrateur U, il faut avoir un magasin ».

Aux comptes d’exploitation, il préfère observer le comportement des gens. « J’ai compris que je pouvais avoir une valeur ajoutée dans la compréhension de l’époque, deviner ce qui allait se passer pour anticiper. On n’est que le reflet de son époque. Là, on voit bien qu’on va vers du ‘consommer moins’ en ‘consommant mieux’ ».  Il signe plusieurs livres qui détaillent ses observations. « De plus en plus, les entreprises ont un pied dans le secteur économique et un pied dans le bien commun. Elles ont un rôle à jouer sur le ‘vivre ensemble’. On est rendu au bout d’un modèle, celui où tout venait d’en haut ». Pour lui la résilience, cette adaptation nécessaire, verra les choses repartir du bas. « L’entreprise ne peut plus être dans un projet économique irresponsable, où le business et le résultat seraient la seule quête, sans s’occuper des problèmes liés à l’environnement, au lien social, à leur impact sur la société ». Cela donne du sens aux collaborateurs, aux clients.

« On est sans doute à une espèce de confrontation des plaques tectoniques entre ‘ce qui sera et ce qui a été’ et ‘ce qui sera n’est plus  la continuité de ce qui a été’ ». Nombreuses sont les références qui étayent sa vision. « La courbe du ‘consommer plus’ et celle, plus vertueuse, du ‘consommer mieux’, où chacun prend sa part comme le décrit le sociologue physicien Marc Halévy. La solastalgie, cette forme d’éco anxiété doit être prise en compte. Avec mon petit garçon, si jamais on regarde les infos, j’ai parfois l’impression d’être Roberto Benigni dans ‘La vie est belle’, en faisant croire que tout va pour le mieux ».

Pour autant, l’homme n’est pas du genre à renoncer. Il décrit à merveille les évolutions des modes de consommation dans ses différents ouvrages. Il est médiateur auprès du Ministre de l’Agriculture après avoir participé aux Etats Généraux de l’Alimentation. Il défend depuis toujours la proximité. « Un agriculteur aujourd’hui doit avoir un pied dans la ferme, un pied dans le marché ». La grande surface a atteint un pic. « Fini le ‘consommer plus’ et place à la proximité avec le ‘consommer mieux’». Le modèle de l’hyper ne va pas disparaître pour autant. « Lors de ma dernière convention, j’ai dit à mes collègues que si j’avais 30 ans aujourd’hui, j’associerais une ferme à mon magasin où je vendrais les produits de cette ferme ».

En plus de la pêche et de la lecture, Serge aime ‘villager’. « Faire des rencontres, observer, discuter, humer l’air du temps… Il faut avoir la capacité à en faire la synthèse, à rendre la réflexion utile ». Le nomadisme de Tesson, sa lecture du moment, l’inspire « Beaucoup pensent que la sérénité vient dans le fait de s’ancrer. Je ne dis pas que c’est faux, mais la mobilité est la source de création de richesse au sens intellectuel. On peut bouger en lisant aussi ». La lecture toujours. « Pierre Lescure, patron de Canal plus, avait imposé à son patron Rousselet trois après-midis au café de Flore,  juste pour regarder les gens et comprendre ce qui se passe ».

Ses convictions au service de l’environnement, il les partage avec les jeunes. « J’ai reçu hier les représentants de « pour un réveil écologique », un manifeste signé par plus de 32 000 étudiants qui affirment qu’ils n’iront pas travailler dans une entreprise ‘climaticide’. C’est bien qu’ils aient cette exigence. A eux de prendre le manche. Ils ont une responsabilité plus lourde que celle qu’on a eue dans les années 2000 où tout galopait. On allait vaincre la maladie, on n’avait pas suffisamment conscience de l’environnement. Puis, il y a eu les tours jumelles, un tournant. Et maintenant la pandémie. Les jeunes connaissent très bien le contexte. Ils ont à prendre des responsabilités nouvelles. Une forme de raison et de justice leur sera rendue ».

En guise de conclusion, Serge Papin s’appuie à nouveau sur Sylvain Tesson. « Le XIXème siècle ne sait pas qu’il porte en gestation un monstre qui s’appellera le XXème, et dont le XXIème siècle expiera la forfaiture ».

Bibliographie 

  • Consommer moins, consommer mieux, août 2009
  • Pour un nouveau pacte alimentaire, mars 2012
  • Et maintenant, on fait quoi ? regards d’un entrepreneur, mars 2014