Il suffit d’observer Gilles sur son banc de poissons une petite minute pour mesurer le sens du contact qu’il a avec ses clients. « J’adore ce contact ; c’est mon truc ». Pour flatter l’œil du chaland, il dispose ses poissons comme un véritable tableau. Il est Stéphanois et il avait 10 ans lors de l’épopée verte. « Un véritable rêve quand tu es enfant. Les joueurs étaient bons sur le terrain, autant qu’ils étaient disponibles dans la ville. On sonnait chez eux, ils nous ouvraient… »

Difficile de faire alors un autre choix que le foot comme sport. « Oui, j’ai pratiqué à un bon niveau. Mais j’ai bifurqué vers le tir à la carabine, un sport méconnu, de haut niveau. Je suis au club de la Roche-sur -Yon. Tous les ans on fait les qualifications pour le championnat de France. A titre personnel j’ai été dans le top 20 français. J’ai toujours un bon niveau, mais j’ai un peu vieilli…Le tir, c’est minimum 10 heures par semaine si tu veux décrocher quelques titres ».

Pour autant, Gilles garde un faible pour le ballon rond qui l’a tant fait rêver durant son enfance. « Aujourd’hui je supporte le PSG et l’arrivée de Messi est un rêve pour tant de supporters. Certes, j’entends les remarques sur les sommes colossales. Là ou ailleurs…moi je suis heureux de cette épopée en espérant qu’elle va durer quelques années. Comment ça donne la banane aux gens ! ». Comme il l’avait lui, gamin. « On allait chercher des autographes chez les joueurs eux-mêmes -impensable aujourd’hui ! – chez Curkovic, Lopez…Mon meilleur souvenir c’est Piazza qui nous ouvre la porte et nous fait entrer chez lui…Quelle époque ! ».

D’humeur joyeuse, le regard de Gilles s’assombrit un peu lorsqu’il évoque la jeunesse d’aujourd’hui. « Le maître mot de mes grands-parents était de dire « Si tu veux gagner de l’argent il faut bosser ». Aujourd’hui la jeunesse me fait peur car elle n’a plus le sens de l’effort. Je ne parle pas des difficultés à recruter dans la distribution sous prétexte que c’est trop dur. On fait croire aux gens qu’on peut y arriver sans travailler, y compris l’Etat. Il y a aussi des économies parallèles qui se développent. Ce n’est pas très sain. Et notamment pour notre système social qui ne s’est pas fait tout seul ».

Lui qui fait ce métier depuis 30 ans ne ménage pas sa peine. « Je suis sur le marché tous les matins à 3 heures puis je file à la criée chercher de la glace. Ma femme achète le poisson, je le trie, et parfois je complète. L’après-midi, je fais fumer les saumons après avoir préparé les saumures. En haute saison, comme en ce moment, les nuits ne dépassent guère 4 heures… ». Gilles constate l’impact du changement climatique à travers le poisson. « Il se déplace et ça devient plus compliqué ». Sur le plan économique également. « Les années 85 – 95 ont été les meilleures, avec une réglementation qui n’a plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Depuis c’est plus serré, même si on en vit correctement ».

Parmi les faits marquants qui ont jalonné sa vie, il cite sa rencontre avec une femme. « Elle m’a un peu bourlingué. Ce n’est pas très vieux et c’est la première fois que je me suis vu au bord du trou. J’ai failli vivre sous les ponts. Mon tempérament de compétiteur m’a permis de me ressaisir mais c’est surtout ma femme qui m’a aidé ! Aujourd’hui, je suis heureux avec ma famille ».

Quand Gilles a débuté sa carrière, on lui a demandé s’il préférait les fruits et légumes ou le poisson. « J’ai dit ‘fruits et légumes’ et on m’a donné le ‘poisson’. Je n’ai jamais regretté ce non-choix ! ». Ce métier qu’il exerce depuis 30 ans !