On n’arrive pas chez Benjamin Benéteau tout à fait par hasard, dans ce coin perdu du bocage, près de la Flocellière. C’est ici qu’il a grandi, avant que ses parents ne décident de s’envoler vers Tahiti pour s’y établir. « Instituteurs, ils n’ont pas vraiment choisi leur métier. Par contre ils ont tout fait pour que leurs enfants choisissent le leur ». Benjamin hésite entre le dessin, le théâtre et le cinéma. Ce sera finalement la bande dessinée. Il dessine aujourd’hui Michel Vaillant, personnage créé en 1957 par Jean Graton.

La Fémis (école supérieure des métiers de l’image et du son) n’ouvrant ses portes qu’aux étudiants BAC + 3, Benjamin suit les conseils d’un parent d’élève de sa mère qui sortait de l’école St Luc à Bruxelles. « Ça dure 3 ans ; je pourrai enchaîner avec Femis dans la foulée ». Sauf qu’au terme des 3 ans, il fait le choix de continuer dans la BD. Le jeu des rencontres et des opportunités sera le tremplin de ce jeune talent. « Je signe chez Dupuis -un rêve ! – pour les décors d’une série qui s’appelle Alter Ego. Dupuis et Graton s’associent. J’étais au bon endroit au bon moment pour prendre la suite du dessin de la série Michel Vaillant. Depuis tout petit, j’adore dessiner les bagnoles ». Il collabore avec Denis Lapière et prend part au scénario.

Un tel héritage ne l’effraie pas plus que ça. « Maintenant que je travaille dessus, j’aimerais faire évoluer des petites choses. Si on change trop vite, ça va perturber les fans, et si on ne bouge pas, ça fait réchauffé ». Quand un album sort, il y a toujours un flot mêlé d’admirateurs et de lecteurs critiques. « J’ai appris à ne pas prendre les critiques personnellement. Je cherche à faire ce que je peux défendre, ce que je trouve cohérent. J’aime avoir le retour des lecteurs sur les salons de dédicace. C’est à chaque fois une rencontre de quelques minutes avec des personnes très différentes et qui portent l’attention sur des éléments parfois inattendus ». Benjamin se garde bien de tirer la couverture à lui. « C’est d’abord un travail d’équipe ». Chaque album, c’est une moyenne de 50 000 exemplaires.

Un autre projet important va voir le jour très prochainement sur Louis Renault fondateur de l’empire du même nom. « Avec Antoine Lapasset, nous travaillons dessus depuis 2012. Autant dire que c’est un soulagement. Le personnage de Renault est assez controversé. Il aurait fallu 400 pages et nous devions en faire 80. C’est contraignant et très intéressant. Une planche, c’est en moyenne 4 jours de dessins ».

Toute sa vie professionnelle est affaire de rencontres. « Je ne suis jamais à l’origine des projets. Ça me tombe dessus ». Parmi ces rencontres, celle avec François Troukens, une figure liée au grand banditisme en Belgique, est peut-être la plus marquante. « Il m’appelle un matin avec le téléphone de son assistante sociale. Son dessinateur venait de le lâcher. Pendant 3 ans jusqu’à sa libération, j’allais le voir une fois par semaine, 4 heures d’affilée. J’avais un statut spécial pour venir avec mon matériel qui était contrôlé à l’entrée ». Le projet ne sera pas édité. « Peu importe. Ça m’a ouvert des portes. J’avais 20 ans et cet homme-là a exercé une grosse influence sur ma vie. Le rapport à l’amitié, à la parole donnée. Lui qui était privé des plaisirs simples du quotidien m’expliquait leur importance. Il a payé pour les délits commis (braquage de banques) et depuis il s’est complètement détourné de l’argent et du luxe ».

A la surprise de son entourage, Benjamin achète une Porsche en 2018. « Un rêve qui me semblait inaccessible alors que j’en rêve depuis tout petit. J’ai eu l’occasion de piloter à Magny-Cours avec un instructeur à côté. En sortant mes mains tremblaient, comme si je venais de toucher à la drogue. Quelques mois plus tard, je fais la surprise à ma femme pour notre anniversaire de mariage en partant pour un weekend en Porsche. Lorsqu’il a fallu rendre la voiture, c’était difficile pour l’un comme pour l’autre ». Pas si simple à assumer pour autant. « Cette passion tellement forte est difficilement conciliable avec mes convictions environnementales inculquées par mes parents. Je me rassure en me disant qu’on roule peu, puisque je travaille chez moi ».

Benjamin vit sa vie comme un rêve éveillé. Il est cependant très sensible et se tient aux règles de vie qu’il s’est fixées. « Accepter les choses telles qu’elles se présentent. C’est quand tu prévois que les choses ne se réalisent pas comme prévu et c’est plus dur à surmonter. Ça me donne une grande confiance dans l’instant présent. Ma femme a elle tendance à tout prévoir… On est complémentaires ».

Il a été confronté à des périodes de grands cafards. « Mes parents sont revenus par surprise de Tahiti avec mon petit frère pour un Noël. Nous avons passé 15 jours inoubliables, suivis d’un cafard monstrueux de plusieurs semaines. J’ai découvert qu’on pouvait entretenir la mélancolie, une sorte de plaisir masochiste, jusqu’au jour où j’ai dit stop. J’ai trouvé la clé en m’imposant d’autres points de focalisation et ça m’a servi toute la vie ».

Les relations entre amis sont prépondérantes pour lui et Jessica son épouse. « La série Friends nous a apporté cet enseignement que c’est avec le pardon qu’on peut surpasser les petites crasses qui ne manquent pas de survenir dans les groupes. Quand tu passes au-dessus, l’amitié est beaucoup plus forte ».

Le livre qui l’a marqué est Martin Éden de Jack London. « Un appel à se méfier du succès ou de la célébrité. C’est quelque chose qui a pu m’attirer. J’ai compris que ce n’est pas une fin en soi. On voit tellement d’artistes qui connaissent la dépression après un prétendu succès ».