Ceux qui comme moi lisent le journal Ouest-France en commençant par la dernière page connaissent sa signature. Michel Troadec est journaliste depuis 30 ans, en charge de la page ‘cultures’. Il observe et restitue à travers ses papiers le monde de la culture, notamment la chanson française, sa passion. « Je n’ai pas choisi mon métier ; c’est lui qui m’a choisi. Avec le recul je me dis que j’ai eu raison de faire confiance à mon instinct. »

Son cursus scolaire débute par un parcours comptable. « Comme mon père… Après le BTS j’ai compris que ce n’était pas ma voie, mais je ne savais pas ce que je voulais faire. Lors d’une soirée dans un bar, je fais part de mes hésitations à un ami qui me propose de m’inscrire à l’Université avec lui. Ça me semblait un peu abstrait pour moi, le petit gars de Quimperlé ». La Fac ouvre pourtant les horizons de Michel. « Il y avait une unité de valeur qui s’appelait ‘Information et Communication’ avec parmi les intervenants Antoine Spire. J’étais sous le charme ». Il suit de près l’explosion des radios libres des années 80. Il fait ses premières interviews dans le cadre d’un atelier universitaire dont le partenaire est Ouest-France. « Françoise Hardy, Pierre Desproges… C’était énorme pour le petit étudiant que j’étais ». Outre la radio, Michel devient correspondant universitaire pour le 1er quotidien français. « Voilà comment le journalisme est venu à moi ».

Sa carrière débute dans la ‘locale’ à Challans. « Je ne connaissais pas la ville, réputée un moment pour son basket. Quand tu débarques, il faut rapidement trouver les gens qui vont te mettre en relation au plus vite avec le lieu que tu découvres. Tu dois raconter aux lecteurs leur ville qu’ils connaissent mieux que toi. Il faut à la fois de la curiosité et de l’humilité ».

La passion de la chanson française, il l’a depuis toujours, sans pouvoir véritablement expliquer pourquoi. « La chanson, ça parle à tout le monde. C’est l’art populaire, depuis la nuit des temps. Je ne pratique pas la musique. Je compense peut-être en écrivant sur elle ? ». Les générations de chanteurs se succèdent pour cet observateur privilégié. « La génération des Souchon, Cabrel, Le Forestier s’est fédérée. Avant, c’était des solitaires. Celle qui suit avec Albin de la Simone, Gaëtan Roussel, Vincent Delerm, travaille aussi en réseau. C’est peut-être en train de changer ? A mon sens, aujourd’hui, on demande trop aux artistes de s’exposer de façon personnelle. »

L’idolâtrie (qu’il comprend) est le revers du rêve et de l’identification qu’envoient les artistes à travers leurs chansons. « La clé du respect en tant que journaliste, c’est de garder une relation d’homme à homme/femme. Ils font leur métier ; je fais le mien. Si tu as de l’admiration pour eux, ça doit juste aider à mieux les interroger. Il faut garder une certaine distance ».

Il y a forcément des rencontres marquantes comme celle avec le chanteur Christophe. « J’ai demandé à son attachée de presse si je pouvais passer une soirée avec cet oiseau de nuit. J’ai ainsi pu l’observer dans ses relations avec les gens, parler avec lui et ses ami(e)s au restaurant, découvert son chez lui avec ses juke-boxes, son piano, son studio. L’interview a débuté à 1h30 le matin, après que nous ayons traversé Paris en taxi. Cela ne m’arrive jamais, mais quand j’ai écrit l’article sur sa disparition en avril 2020 j’ai pleuré. Ils sont assez rares ceux qui traversent les générations comme lui l’a fait ». Une rencontre parmi beaucoup d’autres, qui l’a nourri. « A moi ensuite d’offrir aux lecteurs ces moments savoureux ».

Michel a beau être passionné, il sait faire la part des choses. « J’ai la chance d’avoir une carrière riche et ça m’a forcément aidé à passer certains obstacles de la vie comme une séparation ». Il est optimiste, même si l’avenir de la société le questionne. « On a vraiment tout pour être heureux sur cette belle planète et on est en train de tout gâcher. Que l’argent soit devenu une folie à ce point c’est complètement dingue. Pourquoi un tel appât du gain ? ». Le pouvoir des GAFA l’affole, plus important que celui de beaucoup de pays. « L’Etat, c’est pourtant ce qu’on a créé de mieux pour représenter le collectif. J’ai un frère qui a été gravement malade et ma mère qui est atteinte d’Alzheimer. En santé et point de vue social, nous sommes aidés. En France il y a de la redistribution. Certains l’oublient. Le Français est quand même un foutu râleur ». La violence est exacerbée par les réseaux. « Chaque mini groupe veut défendre son idéologie de manière parfois très virulente. Ce n’est pas en s’affrontant qu’on va se comprendre. »

Ses yeux brillent à nouveau lorsqu’il évoque Souchon. « La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie : Dix syllabes pour résumer notre existence, sa fragilité, ses drames. Rien ne vaut la vie car c’est extraordinaire de vivre, même si c’est court. Condenser autant de pensées et d’émotions avec si peu de mots, ça relève du génie ».