Je me doutais qu’en allant au Pôl’Art à Saint Laurent sur Sèvre, je rencontrerais des artistes avec une sensibilité à fleur de peau. C’est le cas d’Eric Chabiron, sculpteur, qui, dans son atelier, passe d’une pièce à l’autre : une retouche par ci, une couleur par là. « J’ai vite fait de m’ennuyer à faire les choses en continu » précise Eric.

« Là je suis en train de faire un lézard ; ici je peins un bouchon. Quand tu fais un métier qui te plaît, tu n’as pas la notion de ‘travail’. Même s’il y a une grande partie technique qui est laborieuse ». Cela fait un peu plus de trente ans qu’Éric vit de sa passion. « Il y a quatre ans que je ne suis pas allé côtoyer les intérims ». Recours parfois nécessaire pour combler les périodes plus creuses. « Cela m’a permis de côtoyer la vie en usine ou dans les abattoirs ».

Sculpter est une activité qui présente aussi une prise de risque. « Il y a de gros investissements. Quand je fais fondre un bronze c’est plus d’un mois de salaire qui part. Je fais des séries limitées, souvent huit pièces et je me réserve quatre épreuves d’artistes. Si le produit marche on se dit : c’est dommage de ne pouvoir aller plus loin, et si le produit ne fonctionne pas, on peut se retrouver avec du stock qui vous reste sur les bras ».

Dans son vaste atelier pointent des éclats de couleurs. « Une toupie c’est joli quand ça tourne. Un bouchon c’est joli dans l’eau. C’est la vie ; ce sont nos souvenirs d’enfance. Les gens me disent : vous avez dû aller en Afrique ? Absolument pas. Je voyage exclusivement dans l’atelier. J’ai un bilan carbone exceptionnel. Mon inspiration c’est ce que je vois autour de moi. »

« J’ai commencé ma vie avec un CAP de coiffeur. J’ai plus subi qu’autre chose pendant deux ans. J’ai été vendeur en fourniture industrielle durant cinq ans. Puis j’ai été représentant en grande distribution. J’ai travaillé également un an pour la société Rautureau de la Gaubretière qui fabrique des chaussures ».

Eric a plusieurs passions. « Je suis en train d’écrire un bouquin. C’est un roman avec un personnage sans doute inspiré par mon vécu. C’est une personne qui a lu ce que je faisais qui m’a poussé à écrire. J’aime bien grattouiller aussi, sans être un bon guitariste. Je fais beaucoup d’improvisation et quand je suis inspiré ça fonctionne ».

Bien qu’économiquement la période ait été un peu plus difficile, la Covid ne l’a pas éprouvé plus que ça. « J’ai la chance d’avoir une vie à part et pendant la pandémie je n’ai pas vu le temps passer. Mis à part que j’ai des petits-enfants que je n’ai pas pu voir de la même façon » Avant d’ajouter avec un brin de philosophie : « Faire confiance à la vie est une chose qui apporte. On a tous des embûches qui se présentent un jour ou l’autre. La maladie j’ai connu aussi. C’est fragile tout ça. La vie est fragile. C’est important de faire ce qu’on aime ». Il ne se sent pas étranger au monde. Seulement il se sent assez impuissant. « L’humanité c’est trois pas en avant, deux pas en arrière. C’est assez dramatique sur le plan des rapports humains. Moi je préfère continuer à embrasser les gens que je connais. J’aime ça le contact tactile. Il faut essayer de se débarrasser des poids qui nous encombrent pour faire quelque chose de positif et surmonter les embûches. Mon fils a eu le syndrome des loges. Il a été à deux doigts d’être amputé à l’âge de 18 ans. Aujourd’hui il court et fait de la planche à voile. »

Sa femme et lui exercent en indépendants. « On cotisent beaucoup. L’État  se soucie peu de savoir s’il nous reste à manger. Tous les indépendants le disent. La retraite, je verrai bien. À 61 ans je ne vais pas dire que je ne sens pas l’âge. Après évidemment j’imagine bien qu’à 80 ans je n’aurai pas la même hargne. Je ferai de la lithogravure ; c’est moins physique ».